Ai-je fais une bétise ? 

La troisième semaine de l'année débutée tout juste. L’école était moins remplie que l’année précédente, ce qui me renvoyait au fait que j’étais de mon côté toujours bien en vie. Lucas m’avait parlé du syndrome du survivant. Je ne savais pas où il avait trouvé ces informations mais c’était effectivement ressemblant à ce que je ressentais. Et pourtant la rentrée n’avait pas été compliquée. Je n’avais pas reçu, ni même Maddison, de courrier hargneux quant à ma présence au palais. Mes étudiants ne me regardaient pas différemment, mes collègues non plus. Pas même un Pozhiratelis à l’horizon. Je commençais donc petit à petit à me détendre.

Emily veillait à ce que je sois rompu chaque matin avant de descendre retrouver les élèves. Seul je m’en serais bien sur inquiété, mais qu’elle soit là pour m’aider était pourtant encore nécessaire. Elle me rassurait en me disant que pour un changement datant d’à peine une demi-année, je m’en sortais plutôt très bien. Une question de caractère sans doute. Pourtant j’avais fait en sorte pour le moment de ne jamais me retrouver seul face à un élève, question de sécurité, juste au cas où. C'était sans compter l’harcèlement de la bibliothécaire qui me répété tous les jours depuis une semaine que ce n’était pas « humain » de donner autant de travail aux élèves dès le début de l’année. Les premières jours je n’avais pas fait attention. Chaque année c’était la même chose, en dehors des périodes d’examens si un ou plusieurs élèves tardés plusieurs jours consécutifs dans son antre elle en avait des sueurs froides. Mais à force de plainte, elle avait fini par réellement m’interpeler. Qui était cet ou ces élèves qui tardaient déjà à la bibliothèque. Après une discussion avec les préfets de chaque maison j’avais trouvé la personne qui troublait le petit équilibre de notre chère bibliothécaire.

Une élève de première année. Je l’avais observé de plus près lors de mon dernier cours. Toute menue, travailleuse, rien n’indiquait qu’elle avait du retard. Rien d’inquiétant à relever si ce n’est qu’elle travaillait sans doute un peu trop pour un début d’année. Trop perfectionniste peut-être, mais était-ce réellement un défaut ? Quoi qu’il en soit j’avais préféré lui donner rendez-vous. Je n’avais pas jeté de coup d’oeil sur son dossier, peut-être après, mais pour le moment je ne voulais pas me faire de fausses idées.

En fin d’après-midi quelqu’un toqua enfin à la porte de mon bureau. C’était bien elle.


J’attendis qu’elle soit assise avant de reprendre.


Effectivement ce n’était pas mon habitude d’accueillir tous mes élèves pour faire un bilan à chaque fin de mois, mais vu l’état de stress palpable de la jeune fille, presque insupportable dans ma situation, je préférais opter pour une démarche plus rassurante. Ne pas laisser ressentir que cette situation n’était pas habituelle.

( Pando )

J’avais vu pas mal d’élève défiler dans ce bureau. Je me souviens avoir aidé certains dans leurs papiers administratifs pour changer d’école ou pour leur demande de stage. Je me souviens avoir dû en réprimander d’autres par exemple pour avoir enfermer un camarade dans la cabane d’isolement ou pour des escapades nocturnes. Je me souviens aussi avoir dû régler des différents entre les élèves et les professeurs, je pense notamment à cette charmante jeune fille qui tutoyait tous le monde et qui avait ainsi rendu fou certains membres du personnel. Régler les conflits ou même les amorcer faisait partie de mon travail en tant que professeur mais aussi en tant que directeur adjoint.

Ce jour la situation était assez inédite. Je ne pouvais décemment pas réprimander un élève parce qu’il travaillait trop. En revanche je pouvais essayer de comprendre la raison de ce travail acharné. Je voyais dans sa façon de gérer la rentrée le petit garçon que j’avais été. L’envie de tout savoir avec cette impression d’être tout de même en retard par rapport aux autres, ou plutôt par rapport à ceux qui avait grandi autour de la magie. Dans mon cas c’est Lucas qui m’avait vite fait comprendre que ce n’était pas parce que ses parents étaient tous deux sorciers qu’il en savait plus que moi sur le maniement d’une baguette. A partir de ce moment là j’avais abordé mes études plus sereinement, j’avais continué de travailler certes, mais pas beaucoup plus que les autres. J’observais cette jeune fille me demandant quel pourrait être son déclique à elle. Vu l’état de stress j’allais devoir creuser un moment.


J’entendais son cœur battre à une vitesse impressionnante et je commençais à saliver. Il fallait absolument trouver une solution pour la calmer, sinon je devrais appeler Emily pour me sortir de ce guet-à-pent. J’abordais donc un sourire encore plus rassurent.


Ironique au fond. Si elle ne se calmait pas je pourrais tout aussi bien lui sauter dessus. Pas d’inquiétude vraiment.

( Pando )

Le cœur ralentissait légèrement mais la nervosité était toujours palpable. Il fallait penser à Emily et à ses paroles rassurantes qu’elle avait depuis le début. Se rappeler également qu’elle n’était pas loin et que dans la pire des situations elle pourrait sans doute réparer le problème. Elle était notre infirmière, elle avait forcément des tonnes de solutions. Mais en attendant j’avais encore une large manœuvre de contrôle. Il fallait bien ça sinon ma place à ce poste était plus que discutable. Par ailleurs son rythme cardiaque continuait à ralentir. C’était beaucoup mieux. Vraiment il n’y avait pas d’inquiétude. Puis ce n’est pas comme si elle allait se vider de son sang de toute manière. C’était inimaginable.

Je tâchais de garder un visage neutre, ponctué à certains moments de légers sourires et de hochements de tête. Des copies parfaites. L’excellence à tout prix. Ce n’était pas quelque chose de mal en soi. Si la personne se mettait des objectifs à atteindre pour sa propre personne c’était assez sain. Si le but était plutôt de satisfaire les autres cela devenait plus compliqué à gérer. Le plus problématique selon moi restait encore la recherche du sentiment de supériorité par rapport aux autres. Mais avec cette jeune fille nous étions tout au plus sur le deuxième pallier.


Ce n’était pas une menace bien sûr. Si dans un mois elle nous faisait un burnout nous n’allions pas l’exclure de l’école. Tout ce qui était dit dans ce bureau était une sorte de contrat informel. Une recherche de solutions pour rassurer tout le monde. Si elle décidait de ne pas en prendre compte c’est elle qui serait en première ligne face aux soucis de santé. Tout de même je préférais prendre les devants et comprendre un peu mieux comment elle fonctionnait et pourquoi elle travaillait ainsi. Elle avait rapidement parlé de sa famille durant l’entrevue. Elle devait en être proche ou bien ils devaient en attendre beaucoup d’elle. Beaumont. Bien sûr nous avions deux frères portant ce nom de famille, mais c’était un patronyme commun.


Petit changement de sujet. Mais je n’en oubliais pas la raison première de cette rencontre.

( Pando )

Je n’étais pas certain qu’elle comprenait exactement la raison de mon inquiétude. Être bien ce n’était pas seulement bien manger et bien dormir. C’était par ailleurs le rôle des préfets de veiller sur cela et de nous signaler un quelconque problème. Être bien c’était aussi créer des liens avec les autres et s’épanouir dans ses études. Tout était lié, plus au moins en équilibre en fonction des personnes. Le fait est que je craignais que le fait de trop travailler pouvait ébranler la balance et qu’il n’en ressorte aucun plaisir. Je craignais qu’elle ne travaille pas que pour elle mais surtout pour être reconnue par d’autres. Or ceci pouvait être délétère car les autres n’avaient pas forcément une idée claire sur l’investissement qu’elle pouvait mettre dans son travail et ne jugerait que par les résultats. Pourtant l’apprentissage passait aussi pas l’échec. Les bonnes notes ne représentaient en réalité pas grand-chose. Le tout était d’être en mesure de faire face au monde à la sortie de l’école.


Je tâchais de sourire même si je n’étais pas pleinement satisfait. Je savais que le sujet reviendrait sur la table. Je savais que j’allais devoir continuer de surveiller le sujet de près.

Beaumont. Il y avait donc un lien entre Eowyn et les deux élèves auxquels je pensais. Je n’avais pas eu à faire affaire à eux en dehors des cours. Deux élèves sérieux et respectueux du règlement. Polis et attentifs, je n’avais jamais eu de problème avec eux. Ils travaillent bien mais a priori ils ne se rendaient pas malades en forçant trop. Mais visiblement ils n’étaient pas très proches. C’était dommage ils auraient pu être un soutien pour la jeune fille. Peut-être que je devais leur en toucher deux mots pour m’assurer que de leur côté ils n’étaient pas surpris ou inquiets du comportement de leur frangine.


J’espérais que poursuivre sur ce sujet n’allait pas faire réaccélérer le cœur de la jeune fille qui s’était quelque peu calmé.

( Pando )

C’était quand même dingue qu’un si petit cœur puisse faire autant de bruit. À force d’être tendue comme cela la petite allait nous faire un arrêt cardiaque avant la fin de ses études. Ou alors une perte de contrôle de ma part ferait qu’elle finirait entre mes crocs. Je me demandais si Emily avait déjà eu affaire à elle, et si oui, avait-elle eu aussi du mal à se contrôler. Un si petit cœur en bonne santé dans une proie tellement facile. La réponse serait certainement non. Elle avait l’habitude depuis tout ce temps. Puis je supposais qu’à certains moments mon cœur avait bien dû battre beaucoup plus vite que celui de la jeune féline. Tout de même il faudrait que je lui pose la question.

Je sentais qu’il y avait quelque chose derrière sa famille. Sa tension était équivoque. J’aurais mieux fait de lire son dossier avant d’aborder le sujet. Il se pourrait qu’il s’agisse d’une jeune née-moldue recueillie et qui avait évidemment pour consigne de ne pas attirer l’attention. Si c’était le cas les battements rapprochés de son cœur s’expliquaient facilement. Pourtant je ne pouvais lui dire que je comprenais la situation dans laquelle elle se trouvait. Ce serait idiot de percer ma carapace aussi facilement alors qu’il n’y avait aucune contrainte. Puis je pouvais également faire fausse route.

J’étais bien tenté de creuser un peu plus. De comprendre exactement pour quelle raison elle se donnait autant de mal. Ce n’était pas anormal de travailler dur mais je sentais qu’il y avait quelque chose derrière. Qu’est-ce qu’elle entendait exactement par spécial ? Pourquoi avait-elle aussi peu de liens avec ses grands frères ? Certes ils n’étaient pas dans la même maison mais je percevais un malaise dans l’expression de la jeune Beaumont. C’était comme s’il n’y avait aucun lien fraternel entre eux. Ceci dit je n’étais pas certains qu’il soit raisonnable de chercher à en savoir plus. Visiblement la jeune fille faisait en sorte de ne pas en dire trop. Je préférais respecter ce choix et ne pas la placer dans une situation qui pourrait la mettre dans tous ces états


Je n’allais pas insister mais je préférais tout de même lui faire comprendre que j’avais perçu un malaise. En revanche c’était une invitation à discuter que je ne ferrais pas dix fois. Si elle sentait le besoin d’en parler je saurais l’écouter. Dans le cas contraire ne l’embêterais pas avec cela.


Finies les questions fermées. Je lui laissais le choix à présent de poursuivre.

( Pando )

Tout va bien. Je ne voulais pas remettre sa parole en question mais je gardais cette impression qu’il y avait quelque chose de louche derrière tout ça. J’avais envie de creuser son cas. Il me semblait pertinent de commencer par son dossier et ceux de ses frères. Après tout elle ne voulait visiblement pas en dire plus aujourd’hui. Puis je n’avais pas envie de lui tendre un piège pour lui tirer les vers du nez. J’espérais en tout cas qu’elle prenne ma proposition d’en discuter au sérieux. Si cela pouvait venir d’elle ce serait en effet encore mieux. Ceci dit je n’écartais pas l’option que je me faisais des idées. Elle pouvait simplement être stressée par cette entrevue et avoir un instinct de protection envers sa famille alors qu’il n’y avait pas lieu d’en avoir. Les dossiers m’éclaireraient plus. Ils ne peuvent faire ressortir que la vérité.

La bibliothécaire. À bien y réfléchir elle était plus énervée contre le corps enseignant que contre cette jeune fille. Elle ne pouvait s’imaginer prendre en grippe une élève par le simple fait qu’elle était une habituée. Puis il était fort probable qu’elle n’avait à se plaindre d’un quelconque raffut venant de la féline. En revanche elle avait l’impression que la jeune Eowyn était déjà ensevelie sous le travail. Notre faute, c’est ce qu’elle m’avait dit quand je lui avais demandé comment se passait ce début d’année.


Je n’allais tout de même pas lui mentir pour qu’elle rechigne ce lieu. Puis au moins là-bas je savais que quelqu’un veillait sur elle. Si le lieu lui était interdit elle resterait dans sa salle commune et là j’aurais moins de contrôle. Les préfets étaient chargés de ce genre de soucis mais je ne pouvais pas demander à un élève de la surveiller en continu.


Je ponctue ma dernière phrase par un sourire. Pour ne pas la mettre mal à l’aise en cours il faudra que je veille à ne pas lui demander à chaque fois comment elle se porte. Il n’y avait rien de plus contreproductif selon moi qu’un excès d’intérêt.

( Pando )