Un bateau parfaitement en règle ~ Elena & Abel 

Encore une fois, elle allait devoir jouer le parfait toutou pour sa mère, obéir aux ordres en faisant semblant d'être contente. Elle allait devoir afficher une mine sévère et autoritaire alors même qu'elle ne ressentait que dégoût et injustice, qu'elle considérait ces inspections comme totalement inutiles et répugnait à l'idée de devoir les superviser. Car, clairement, son rôle dans l'histoire n'était que de donner des ordres à des hommes qui savaient déjà quoi faire et à dissuader les possibles obstruction à la "justice" par sa présence. Car qui oserait dire non à la Secrétaire Adjointe, unique fille de la Secrétaire ? Qui se risquerait à réfuter l'autorité de cette femme alors qu'elle peut le démunir de tous ses biens, faire de lui un hors-la-loi ou l'enfermer à Azkaban ? Certes, elle ne le ferait que si on l'y obligeait et avec une répugnance sans nom, mais personne n'était censé le savoir, et encore moins ceux qu'elle devait inspecter. En général, ils avaient peur qu'elle ne trouve quelque chose que pour penser à se rebeller ou à poser des questions... Et ça lui convenait parfaitement. Face à des gens qui étaient selon elle dans leurs droits, elle n'était pas sûre qu'elle aurait pu faire face et les forcer à obéir. Une fois seulement, il avait fallut immobiliser un récalcitrant et elle avait faillit hurler qu'on le libère, qu'on le laisse tranquille et qu'on s'en aille. Elle n'était pas sûre de pouvoir recommencer.

Elena lissa les plis de sa robe rayée noire et blanche et se composa un visage neutre avant de sortir de son bureau. Aujourd'hui, elle devait inspecter un bateau qui avait reçu les autorisations nécessaires pour quitter l'Europe mais dont on soupçonnait qu'il revenait avec des clandestins. D'après elle, c'était une pure perte de temps, mais elle n'avait pas le choix : la grande Kathleen June Twarby avait ordonné et elle ne pouvait qu'exécuter. Elena s'efforça de redresser la tête en passant devant le bureau de sa mère qui ne manquerait pas de la surveiller, puis se dirigea vers le hall où l'attendaient une demi-douzaine d'hommes. Pour un bateau... Levant les yeux au ciel, elle en congédia trois et ne garda que deux hommes et une femme pour l'accompagner. Être à sept pour contrôler un bateau était à la fois une perte de temps et un gaspillage d'énergie. Sa mère lui reprocherait probablement ce choix, mais elle s'en fichait, parce qu'elle savait qu'elle était plus douée pour diriger l'Europe, parce qu'elle savait qu'elle ferait une bien meilleure Secrétaire. Elle transplana avec ses hommes jusqu'à la côte bulgare et tous les quatre attendirent que le bateau arrive à port pour y transplaner en toute sécurité.

Elena s'avança vers le jeune homme, un dénommé Abel Dunham, et lui tendit la main avec un sourire chaleureux. Bonjour monsieur Dunham, je suis la Secrétaire Adjointe Elena Belov. Veuillez nous excuser pour le dérangement, mais c'est une formalité qu'il vous faut malheureusement remplir pour être en règle. Je ferai en sorte que ça ne dure pas trop longtemps. Elle fit signe à ses hommes du jour de commencer les fouilles tout en restant elle-même sur le pont. La femme resta avec eux tandis que les deux hommes se partagèrent l'intérieur du bâtiment. Avançant vers la proue, elle regarda l'horizon, les mouettes, le soleil... C'était beau. L'espace d'une seconde, elle envia cet homme libre de faire ce qu'il voulait, d'aller où il voulait alors qu'elle était prisonnière du Secrétariat, forcée d'obéir à sa mère jour après jour. Sa seule liberté était de pouvoir vivre auprès de l'homme qu'elle aimait ; à part ça, elle n'avait plus son mot à dire sur rien. Elle envisagea un instant de supplier Abel de l'emmener avec lui, de la kidnapper et de lui faire goûter sa liberté. Et puis... Un cri retentit en-dessous d'elle. Elena échangea un regard avec Abel puis regarda un homme approcher en tenant à bout de bras une créature des eaux. Qu'est-ce que cela ? Sa voix masquait mal sa déception : elle qui pensait en avoir finit en dix minutes allait devoir ramener cet homme au Secrétariat, faire un rapport et tout ce qui allait avec. Elle approcha de la bête et plissa des yeux. Ses cours d'Êtres Inférieurs avaient étés nuls à cause du professeur Kovrov, mais elle se souvenait de cette créature. Un kappa, il me semble. La détention de ces êtres est interdite en dehors de l'archipel japonais, j'imagine que vous le savez... Elena posa son regard sévère sur Abel, priant pour qu'il ait une bonne excuse à lui soumettre.

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Elle avait toujours été proche de l'eau, l'élément de sa maison à l'Institut. Elle admirait la force des vagues, le pouvoir des tsunamis et le règne de la pluie sur le soleil qui se contentait de briller au loin. Elle aimait être au bord de la mer, les pieds dans l'eau, regarder les bateaux braver cette puissance indomptable, briser les rouleaux et contourner les obstacles avec fougue. Les créatures aquatiques l'avaient toujours fascinées, dotées de cette faculté à respirer là où l'oxygène était prisonnier dans des molécules d'eau. Si elle le pouvait, elle passerait des heures au coeur de l'océan à les regarder nager, chasser, flotter. Elle voulait entendre le chant des sirènes, admirer la majesté des kelpis légendaires et croiser la route d'un calamar géant. Elle voulait goûter au sel de ces eaux tièdes, effleurer de ses doigts les algues douces et plonger ses pieds dans le sable. Mais c'était impossible. Elle était un être terrestre, limitée par ses poumons fragiles et ses jambes impuissantes. Et puis, ne disait-on pas qu'on désirait toujours ce qu'on ne pouvait avoir ? Elle était certaine que, si elle était obligée de vivre sous la surface, ce sont les arbres qui lui feraient de l'oeil, elle rêverait de la caresse du vent dans ses cheveux, du froid de la neige et de la chaleur du soleil. Elle ne serait jamais satisfaite, jamais comblée. Elle rêvait toujours trop haut.

Elena posait sur Abel un regard déçu et résigné. Elle ne savait pas trop pourquoi, mais cet homme lui avait fait une bonne impression, elle avait cru pouvoir monter à bord et en redescendre en quelques minutes, écrire un rapport favorable et conclure cette affaire aussi vite qu'on lui avait imposé le dossier. Mais il avait fallu qu'il cache ce kappa dans son bateau, et il avait fallu que ses incapables d'hommes tombent dessus. Elle soupira face aux explications du marin et se tourna vers ses hommes, tenant toujours le kappa comme une chose dégoûtante. Emmenez la créature au Secrétariat, je m'occupe de monsieur Dunham. Les deux hommes échangèrent un regard incertain et Elena compris de quoi il en retournait : ils avaient reçu l'ordre de la surveiller pour s'assurer qu'elle fasse correctement son travail. Mais elle comptait bien les faire plier... Elle avança vers eux et croisa les bras. Je vous conseille de ne pas tarder à obéir, messieurs. À moins que vous ne vouliez que je rapporte votre inefficacité à madame la Secrétaire ? Aussitôt, ils se mirent en action et descendirent du bateau pour transplaner, suivit par le femme quand Elena lui fit signe de les suivre. Elle aurait à répondre de cette décision, elle le savait bien, mais pour l'heure elle était satisfaite.

Revenant vers Abel, elle s'appuya contre la rambarde, face à la mer. Ne sachant pas comment prendre les choses, elle garda le silence un instant. Elle voulait laisser passer cette affaire sans faire d'histoires, mais son devoir était de réprimander cet homme et de le juger pour ce manquement aux lois intercontinentales. Vous savez, je me demande bien comment cette créature a pu monter dans votre bateau récemment puisqu'un dôme magique empêche les sorciers de quitter l'Europe depuis plusieurs mois... Elle lui lança un regard en coin, guettant toute trace de malaise ou de remords. Je conviens qu'elle pouvait se trouver à bord depuis bien plus longtemps, mais en ce cas vous auriez du vous rendre compte de sa présence bien avant, je me trompe ? Elle passa une main dans ses cheveux avant de se tourner vers le marin, bras croisés, le visage dénué d'expression. Elle était vidée de toute volonté personnelle, n'était plus qu'un pantin manipulé par sa mère. Sa tâche n'était pas de la soutenir dans son règne mais plutôt d'imposer sa volonté partout. Elle n'était qu'une extension de la Secrétaire, une porte-parole de ses lois idiotes. Je ne sais pas quoi faire de vous, je l'admets... Cet aveu de faiblesse lui aurait fait mal quelques mois plus tôt, mais elle n'avait plus rien de commun avec cette Elena Belov qui avait mis son nom dans la Coupe de Feu.

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Elena ne savait pas quoi faire. Elle voyait bien que ce marin était de bonne foi et qu'il n'avait pas le profil d'un trafiquant de créatures interdites. Mais son travail lui dictait de l'arrêter et de l'envoyer se faire juger auprès du département juridique, pourri jusqu'à la moelle par les Pozhiratelis. Si elle l'envoyait là-bas, personne ne débattrait en sa faveur et il se verrait affublé d'une amende alors même qu'il n'était probablement pas fautif. Tiraillée entre ses ordres et sa conscience, Elena ne savait pas quoi faire. Passant une main dans ses mèches, elle posa son regard sur l'horizon azuré et poussa un soupir indécis. Soit elle faisait ce qui était juste et risquait de se faire remonter les bretelles, soit elle faisait ce qu'on lui demandait et... et elle le regretterait. Enfin, elle savait bien que ça ne lui resterait pas longtemps sur la conscience, qu'elle oublierait ce marin dès qu'elle aurait un nouveau dossier en main, mais tout de même.

Quand Abel lui concocta une explication minute, Elena se mit à faire les cent pas sur le pont, l'écoutant attentivement. Sa logique était implacable, mais comment le prouver ? Personne de censé n'irait signaler la disparition d'un kappa détenu illégalement et aucun zoo n'a réclamé ce genre de créature à la connaissance de la Secrétaire Adjointe. Rien ne pouvait démontrer que sa version était la bonne et qu'il n'avait pas capturé et retenu captive cette malheureuse bête. Tapotant sa lèvre de son index, Elena lâcha un rire sans joie à la fin du discours d'Abel. Sa vie va être prématurément raccourcie, j'en ai peur. Je doute que les employés du Secrétariat ne prenne soin de lui pendant l'enquête et, une fois qu'elle sera terminée, le pauvre se retrouvera dans un zoo. Elle soupira, dépitée. Elena n'avait jamais été une grande amatrice de nature et d'animaux, mais imaginer cette créature loin de son milieu naturel, enfermé dans un endroit clos... ça lui faisait de la peine. Il fallait qu'elle empêche cela.

S'arrêtant de marcher, elle commença à imaginer un plan. Elle voulait aider ce marin et le kappa, mais comment ? L'idéal aurait été qu'il ait un permis pour posséder cette créature, qu'il ait passé des tests pour prouver qu'il savait s'en occuper et subvenir à ses besoins sans mettre à mal ses chances de survie... Oui, voilà... il fallait qu'il ait un permis. Dites-moi, monsieur Dunham, est-ce que vous seriez capable de vous occuper de ce kappa ? Connaissez-vous son régime alimentaire, les conditions de vies dont il a besoin, ce genre de choses ? À nouveau, Elena le regarda avec espoir. S'il lui répondait que oui, alors elle ferait une chose impensable : elle falsifierait des documents pour lui faire un permis de possession. Illégal, insensé, risqué, mais juste. Depuis le temps qu'elle agissait en robot mécanique qui ne faisait que ce qu'on lui demandait, elle voulait faire preuve de compassion et de justice, aider quelqu'un d'innocent et une créature qui avait eu la malchance de choisir le mauvais bateau où s'établir. Je pourrais... vous signer un document prouvant que vous déteniez ce kappa dans les règles, qu'il vous appartient et que vous êtes à même de vous en occuper. Mais pour cela, monsieur Dunham, je dois être certaine que vous en avez les capacités. Posséder un kappa n'est pas interdit pour rien : ces créatures ont besoin de soins et d'une attention constante. Pourriez-vous l'assumer ?

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Elena réalisa qu'elle avait retenu sa respiration quand, après la démonstration de Abel, elle expira profondément et se remplit les poumons avec soulagement. Il saurait s'en occuper, s'inquiétait déjà de sa santé alors même que le kappa n'était pas sa responsabilité. Si elle commettait cet acte illégal, elle n'aurait pas à le regretter. Elle ferait quelque chose de juste. Elle ferait quelque chose qu'elle-même aurait décidé, plutôt qu'obéir aveuglément aux ordres absurdes de sa mère. Très bien. Mais sachez, monsieur Dunham, que si vous parlez de cet arrangement à qui que ce soit, j'ai le pouvoir de vous détruire. Elle ponctua sa tirade d'un regard sérieux qu'elle finit par adoucir d'un sourire. Elle ne le connaissait pas, mais son amour pour les créatures faisait de lui quelqu'un de confiance, elle en avait l'intime conviction. Néanmoins, si jamais cette affaire arrivait aux oreilles de sa mère, elle tiendrait parole : elle ferait de sa vie un enfer glacé.

Se rappelant que la vie du kappa était actuellement en danger, elle tira sa baguette et s'approcha assez d'Abel que pour poser une main sur son bras. Permettez-vous que je vous emmène au Secrétariat pour régler cette histoire ? Une fois son accord obtenu, elle posa une main sur l'épaule du marin et les fit transplaner devant l'entrée du batiment. D'un pas rapide, elle le conduisit jusqu'à son bureau, dans les étages supérieurs. Devant la porte, elle s'arrêta pour s'adresser à Anna, son assistante. Cet homme a avec lui un permis de possession pour le kappa qui vient d'arriver au Service des Êtres, veuillez envoyer quelqu'un pour le vérifier, je vous prie. Et amenez-moi cette créature dans mon bureau aussi vite que possible. Dès que Anna fut levée, Elena ouvrit la porte pour faire entrer Abel, et la referma derrière elle en indiquant un siège au marin. Aussi rapidement que possible, elle s'empara d'un parchemin vierge, d'une plume et d'un modèle de permis de possession de créature magique. Elle recopia le texte à la virgule près, remplissant les espaces par les bonnes informations, levant parfois la tête pour demander une date de naissance, une adresse et autres détails à propos d'Abel. Quand elle eut finit, elle apposa sa signature au bas du document avant de le présenter à Abel pour qu'il l'imite. Pour faire bonne mesure, elle indiqua comme date d'exécution le mois d'avril dernier, assez loin pour qu'elle l'ait oublié mais assez récent pour qu'elle ait eut autorité sur ce genre d'affaire.

À peine le document fut-il sec que Anna revint en compagnie d'un employé du Service des Êtres et du kappa. Et bien, il était temps ! Je commençais à perdre patience. Se retenant d'échanger un regard soulagé avec Abel, Elena chassa son assistante d'un geste et tendit le parchemin à l'employé. Monsieur Dunham, je vous laisse vous charger de donner de l'eau à votre kappa. Avec un signe de tête entendu, elle le regarda faire, gardant un oeil nerveux posé sur l'employé qui lisait le document avec minutie. Après quelques sortilèges pour vérifier l'authenticité des signatures, il rendit le permis à Elena, disant que tout était en ordre. Parfait. Vous pouvez disposer, je m'occupe du reste. Après une brève hésitation, l'homme prit le chemin de la sortie et les laissa seuls dans le bureau de l'Adjointe. Merci Merlin ! C'était serré. Soulagée, elle se laissa retomber dans son siège et posa le permis devant Abel. Il faudrait ensuite qu'elle lui fasse un dossier en règle, mais ça pourrait attendre. Pour l'heure, elle voulait savourer sa victoire. Voulez-vous boire quelque chose ? J'ai des bièreaubeurre et du whisky, mais je peux faire monter du café ou autre chose si vous le voulez.

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