Sévère (Eowyn - Irene) 

Une famille connue de Beauxbâtons et la mission d’éduquer cette brebis égarée ; voilà ce qui donne à Irene l’immense privilège d’avoir à nouveau accès à l’école. Il faut s'assurer que ce jeune esprit se range dans le droit chemin et y reste.

Privilège… disons plutôt l’opportunité, parce que la Norvégienne râle durant son voyage. Elle a passé des années au palais : pas envie d’y retourner, aussi bucolique et enchanteur puisse se dévoiler le paysage.

Néanmoins, elle y va tout de même. Les parents Beaumont veulent des nouvelles. Les lettres ne suffisent pas. Il leur faut quelqu’un pour s’assurer que la dernière demeure dans les rangs. Pourquoi pas lui mettre la pression. La réputation de la famille, ainsi que la confiance du régime en elle, en dépend.

Irene met les pieds hors de son carrosse. Elle porte une longue robe sorcière bleu marine. Un lourd grimoire pend le long de sa cuisse droite, où une chaîne grise et imposante pour sa silhouette de jeune femme la maintient en place. Elle retire son capuchon pour embrasser la température constante et aseptisée du domaine. Au lieu de l’enchanter, elle pourrait se sentir étouffée par cet endroit si… contrôlé, irréel de toute évidence. Heureusement, elle n’importunera pas l’école très longtemps : juste le temps de s’assurer que sa… petite-sœur, s’en sorte.

Elle connaît le chemin. Elle avait spécifié à Eowyn, dans sa dernière lettre, qu’elle devra la rencontrer au soir, après les cours, pile à l’heure. Aucun retard toléré. Les Beaumont refusent les retards. Aux jardins, près d’une digne statue d’une femme en toge au prénom oublié. Irene aimait cet endroit, à l’époque. Elle s’imaginait des histoires : qui était cette femme, pourquoi l’a-t-on sculpté, quelle personne s’est portée comme modèle… tant de questions sans réponses. C’est au pied de celle-ci qu’elle attend, surveillant sa montre de poche argentée comme si elle anticipait un manquement. Pour s’occuper l’esprit, elle feuillette son grimoire, frotte sa plume avec peu d’entrain jusqu’à qu’une très jeune fille se pointe… avec près de trois minutes de retard. Eowyn. Sa petite-soeur adoptive. « Trois minutes de trop. Tu m'as fait attendre. », dit-elle sans bonjour ni tendresse, en français. « Je ne veux pas d’excuses. J’espère seulement que tu t’appliques mieux pour tes cours. » Éduquer comme on s’est fait éduquer soi-même… sans pitié. Elle plonge son regard dans le sien. « Alors ? Comment vont les études ? »

Lorsqu’Eowyn lui confie l’appréciation que ses professeurs ont pour elle, Irene acquiesce. Si elle lui mentait, elle le saurait un jour ou l’autre. Ce qui la fait tiquer davantage, c’est le stress qui émane de ses petits yeux. La Norvégienne demeure assez lucide qu’elle doit y participer, à cette angoisse. Or, ça fait partie des méthodes Beaumont. Plus, elle devra apprendre à s’y faire. « Tu peux déposer ton sac. Nous discuterons un moment. » Inutile qu’elle se casse le dos pendant qu’elle devra lui faire la morale.

Ensuite, elle s’enquit de son voyage. Comment c’était ? Si elle se montrait franche, elle lui avouerait qu’il s’agit d’une énorme perte de temps. Revenir à Beauxbâtons ne l’émeut pas, pas plus que le carrosse lui offre une expérience intéressante. « C’était supportable. », répond-elle en une honnêteté diluée.

Ses petits-frères ont mentionné Eowyn dans leurs lettres. Elle se doute qu’ils exagèrent ses torts. Toutefois, méthode Beaumont oblige, Irene doit soumettre la petite à un exercice… « Tu as fait quelque chose de mal. Père et mère m’envoient ici pour en discuter avec toi. » Silence. « Tu sais de quoi il s’agit. Tu dois me le dire. » Elle baisse les yeux un moment avant de revenir dans ceux de la gamine. Garder le contact visuel irait trop loin. En tout cas, la blonde espère que sa nouvelle sœur passera le test… Ah les fameuses séances d’auto-critique. Pendant des années pour son cas… et encore aujourd’hui. Étrange, même pour elle, qu’Irene se retrouve de ce côté de la critique, même si elle a déjà mené ces séances sur ses frères cadets.

Irene attend, avec patience. Elle se doute qu’il ne pourrait rien sortir de très intéressant de la part d’Eowyn. Il faut dire qu’à 11 ans, ce n’est pas toutes les gamines qui savent se rabaisser pour plaire à une gourmandise dévorante de discipline. La Norvégienne, en revanche, s’y connaît depuis fort longtemps. « Jurer sur une peluche ne t’attirera aucune sympathie. », réplique-t-elle avec froideur.

Toutefois, Irene n’est pas monstre… et observer la maigre, faible, fillette pâlir devant ses yeux sévères lui confère un spectacle déplaisant. Elle finit par soupirer, fatigué de ce jeu malsain. Il faut bien être un vrai Beaumont pour continuer à mordre l’os de la sorte. « Regarde-moi… Écoute, tu n’as rien fait de mal, dû moins à ma connaissance. C’est juste… nos parents ne croient pas en la perfection, alors quand tu te montres à eux et que tu leur dis que tu n’as rien fait, ils prennent ça pour de l’arrogance, comprends-tu ? Ils s’attendent à ce que tu aies des fautes à leur confier. », explique-t-elle en tentant d’être la plus pédagogue possible. Elle se rappelle qu’Eowyn demeure une enfant… mais les enfants peuvent apprendre très vite. « Je suis venu pour eux. Pour m’assurer que tu te tiens bien. Arrives-tu à bien te tenir, Eowyn ? »

Elle observe et écoute. Elle finit par acquiescer, jeter un coup d’œil au sol avant de jeter un œil vers l’horizon enchanté. « Bon, arrête de stresser… On en arrêtera là pour aujourd'hui. Dis-moi, que lis-tu à la bibliothèque pour rester aussi tard ? »

Irene prend le livre que lui tend Eowyn. Elle se souvient de ce livre pour l’avoir consulté dans son intégralité, à Beauxbâtons. Une chouette aventure pour l’âge qu’elle avait, même si aujourd’hui elle trouve cet ouvrage plutôt juvénile. Tu acquiesces de la tête lorsque la petite te décrit ses études. « C’est bien que tu n’étudies pas que pour tes cours... ils sont fait pour la plèbe et s’y contenter serait… que trop ordinaire. », affirme-t-elle d’un air suffisant. « Ce livre est de ton âge. Quand tu l’auras terminé, va feuilleter L’Encyclopédie des Vieux Monstres et leur Évolution de Reinette Suzane. Il n’est pas souvent consulté mais il est édifiant. » L’encyclopédie éclate d'un gris monotone, poussiéreux, c’est à peine si l’on peut comprendre le langage vieilli qu’il emprunte… bref une vraie aventure intellectuelle pour qui peut pousser sa curiosité jusqu’à des extrêmes. Inspiré par cet œuvre, elle continue. « Les créatures magiques sont fascinantes tant elles prennent de formes différentes, sans parler de leur constante évolution dans leur environnement… C’est bien que tu t’y intéresses. » Au moins, Eowyn peut la rendre, un minimum, fière, par moment. Si elle lui avait parlé de classe de (propagande) politique elle aurait eu envie de l’envoyer valser de l’autre côté du buisson, mais elle se serait contenu parce qu’il faut encourager ce comportement. « En revanche, ne commence pas à lire jusqu’à que tes paupières tombent… tu ne te souviendras de plus rien la veille et ce ne sera pas pour plaire à tes professeurs ou tes notes. » La Beaumont parle d’expérience.

C’est quoi ta bête favorite. Irene soupire en plissant les yeux. Elle savait qu’elle allait devoir s’attendre à ce type de question dès que les créatures magiques sont entrées dans la conversation… et en réalité, elle pourrait parler de beaucoup de bêtes. Sa langue se délierait pour les hippocampes d’Arctique, une variété rare que les moldus échouent à découvrir. Il existe les Demiguises d’Asie, les rhinocéros éruptifs d’ailleurs… Tant de merveilles hors de sa portée… à cause d’une poignée de consanguins.

Elle soulève son grimoire, faisant miroiter sa lourde chaîne d’argent. Elle ouvre le bouquin et feuillette quelques pages. « S’arrêter à une bête peut offrir un savoir très spécifique… mais s’intéresser à plusieurs donne une meilleure appréciation de la vie. En ce qui me concerne, sache que je préfère les bêtes qui ne se dévoilent qu’à peu de gens… », dit-elle en manquant de dire élus. Les créatures magiques des légendes, celles rencontrées par une poignée de gens, dont on doute de leur existence ou non… Pour réponse, Irene montre une page à Eowyn. Sur l’image se dresse un dragon… différent, duquel des tentacules se glissent depuis ses omoplates, son torse et au niveau de sa queue. Plusieurs yeux peuplent le visage reptilien, sans parler de cet habitat si… abyssal dessiné dans le grimoire. Enchanté, le dessin imite le mouvement des vagues sous-marines, ainsi que les nageoires difformes ressemblant à des ailes leurs battements lancinants dans des eaux sans doute à glacer le sang. « Tu ne liras pas au sujet de ce spécimen à Beauxbâtons… En fait, il est très peu probable qu’on le croise un jour, d’autant plus que sa dernière apparition recensée fut au lac Baïkal, ça doit faire de là deux-cent ans. », explique-t-elle avec une pointe de passion morbide. « Toutes les bêtes ne sont pas encore découvertes. Si ça se trouve, ta préférée nous ait toujours inconnue. »

« C’est mon grimoire... et ma chaîne. », mentionne-t-elle. Le fait qu’elle arrache parfois des pages de bouquin pour les ajouter à sa collection de son grimoire constitue un fait qu’elle se gardera de mentionner.

Néanmoins, il ne s’agit pas du sujet qui la préoccupe le plus. Eowyn pose trop de questions pour son propre bien. Elle se sent le devoir de couper court à ça avant qu’elle s’attire des ennuis… même si ça signifie devoir tuer des flammes de curiosité, ce qui la dégoûte à chaque fois. Or, si elle apprend qu’Eowyn agit mal, la faute revient sur elle, les parents… Bref la vie aime l’injustice. « On ne peut pas parce que c’est comme ça. » Bon, elle se dit qu’elle devrait agrémenter le tout d’un minimum d’explication. « C’est la règle. Le gouvernement ne veut pas qu’on quitte l’Europe. C’est très grave de partir ou même de le vouloir, tu comprends ? » Quant à savoir pourquoi… Irene ignore à quoi penser ces vieux Sang-Purs du haut de leur tour d’ivoire, à se chamailler pour du pouvoir. « Tu ne devrais même pas poser la question. C’est assez pour t’attirer des ennuis. Père et mère seraient très fâchés… » Elle se doute qu’elle utilise un coup-bas. Vicieux. Or, il faut tuer l’idée dans l’œuf.

Elle va leur dire… pourquoi pas ? Ça apprendra à Eowyn qu’à force de poser les mauvaises questions, celles-ci tombent dans les mauvaises oreilles. Irene a survécu à assez d’années pour se rappeler d’une époque différente. Nan, cette discussion pourrait se dérouler autrement… si certaines personnes acceptaient d’arrêter de jouer les tyrans. Or, le pouvoir semble briller d’une lueur si alléchante que la nature humaine veule tomber dans d’éternelles pathologies.

Ainsi roule la société dans laquelle elles vivent.

Toutefois, elle aperçoit bien la moue déçue de la gamine. Elle sait qu’elle devrait parler mais quand lui vient le temps de répondre, elle s’arrête. Irene fronce les sourcils mais elle demeure sur ses réserves. « Tu fais partie de notre famille pour que tu cesses de faire ça, entre autres choses. » À s’entendre, la Norvégienne ressent l’envie de se frapper soi-même mais elle continue sur sa lancée. « Est-ce que je vais leur dire… ça dépend, est-ce que je peux te faire confiance pour arrêter ? » Elle soupire. « Écoute… je sais que tout ça semble beaucoup. Tu dois comprendre qu’on fait ça pour t’éviter les ennuis, à la base. C’est peut-être injuste mais il en est ainsi. » À savoir si Irene participe à l’injustice… un peu, d’autre part elle résiste. La joie d’un cœur rebelle mais d’un intellect criant de pragmatisme et de cynisme.