Comme frère et soeur (Irène & Dimitri) 

Depuis que le drame était arrivé en juillet dernier et qu'il avait quitté le manoir familial, il n'avait eu personne à qui parler. Il ne voulait pas embêter cet ami qui l'hébergeait avec ses problèmes et avait fermé sa gueule. À l'Institut, personne ne semblait remarquer la disparition de sa meilleure amie ou sa détresse à lui. Ils agissaient comme si tout allait bien, comme s'il aurait du avoir fait son deuil depuis longtemps maintenant. Mais comment tirer un trait sur la personne qu'on aimait, tout en sachant que c'était votre père qui l'avait tuée ? Non il n'avait pas fait son deuil et il n'avait personne avec qui parler, à qui confier ce qu'il ressentait, cette détresse, cette douleur, ce vide, cette haine... Sauf une fille qu'il connaissait depuis des années, qu'il considérait comme sa soeur. Mais sa famille était en étroite relation avec la sienne et il n'était pas sûr de la réaction de cette fille quand elle le verrait. Le considérerait-elle comme ce traître qui a quitté sa maison ou au contraire sera-t-elle de son côté ? Il la connaissait assez pour savoir qu'elle n'était pas du genre à tolérer les actions commises par son père, mais peut-être ne lui avait-on pas dit la vérité ? Peut-être que pour la garder dans de bonnes dispositions lui avait-on raconté qu'il avait commis une erreur et avait été banni ?

Sans tergiverser davantage, Dimitri passa sa baguette dans sa poche et quitta le domaine de Durmstrang pour se rendre à Durmnaer. Il n'avait bien entendu pas encore appris à transplaner mais il connaissait un vendeur dans la rue marchande qui acceptait de prêter sa cheminée contre deux Mornilles, une pour l'allée et une pour le retour. C'était le week-end, aussi personne ne l'empêcha de sortir et il fut plus que ravi de ne pas croiser ses aînés. Face aux questions de Demetria et aux reproches de Connor, comment aurait-il pu espérer que Irène Beaumont puisse l'accueillir à bras ouverts ? Cela faisait des mois qu'il ne l'avait plus vue, à présent, et il ne savait rien de ce qu'on lui avait raconté à son sujet... Arrivé dans la boutique, il donna une pièce au vendeur et entra dans la cheminée en prononçant l'adresse de la rue dans laquelle se tenait le magasin d'Irène. Il émergea dans une auberge miteuse et s'excusa auprès du propriétaire en époussetant sa veste du revers de la main. Il détestait ce moyen de transport mais, à son âge, c'était ce qu'il y avait de plus rapide et de plus facile. Retirant la suie de ses cheveux, il déboucha dans la rue et se dirigea vers la boutique de son amie.

Mais il était fort tôt et le magasin était fermé. Dimitri se pencha pour regarder par la fenêtre et aperçu des cheveux blonds qui lui étaient familiers. Il donna quelques coups sur la vitre pour qu'elle se retourne et lui fit un signe de la main, affichant un sourire incertain. C'est moi, Dim ! Je sais que c'est fermé mais tu peux m'ouvrir ? S'il-te-plait ? Ne sachant pas comment son amie (ou peut-être ex-amie) réagirait, il recula d'un pas. Allait-elle lui ouvrir ou lui jeter un sort au travers de la fenêtre ? Serait-elle réellement amicale ou jouerait-elle un rôle en attendant que son père, qu'elle aurait averti, ne débarque pour le tuer ? Car dans sa famille c'était ce qu'on gagnait en faisant partie des traîtres : on mourrait. Se faire déshériter n'était pas suffisant dans la royauté biélorusse, et l'humiliation qui accompagnait cet acte n'était qu'une infime part de la douleur que le traître était censé subir. Irène savait tout ça. Serait-elle tolérante ? Ou le dénoncerait-elle pour ne pas être considérée comme traîtresse elle aussi ? À cet instant seulement, il réalisa qu'il venait peur-être de faire une grosse erreur en venant ici...

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Quand la porte s'ouvrit, ce ne fut pas pour que la jeune fille le prenne dans ses bras en lui disant qu'il lui avait manqué, non. Même s'il savait que ça n'arriverait pas, une partie de lui avait espéré que elle au moins le comprendrait, qu'elle ne lui tournerait pas le dos, qu'elle voudrait le réconforter. Recevoir une insulte était bien plus logique, mais ça lui fit tout de même mal. Elle avait raison, cela dit : il était un imbécile. Venir ici sur un coup de tête avait été imprudent et impulsif, mais il avait besoin de voir un visage amical d'avant. Ses aînés lui tournaient le dos, ses parents ne voulaient plus le voir - et c'était réciproque - alors il avait cru que elle au moins lui sourirait. Mais son regard était froid, celui qu'elle adressait à ses clients et aux inconnus. Jamais à lui. L'espace d'une seconde, il regretta d'être venu, faillit repartir aussi vite, sans rien dire, mais elle reprit la parole avec une once de tendresse. Elle ne lui en voulait pas, elle était juste inquiète et un peu en colère, juste ce qu'il fallait pour satisfaire leurs familles. Mais elle ne lui en voulait pas. Il voulu la serrer dans ses bras, retrouver l'espace d'un calin sa vie d'avant, mais n'osa pas. Elle était comme une soeur pour lui, et pourtant il resta à distance, se balançant d'un pied sur l'autre.

La question d'Irène fit hésiter Dimitri. Lui demandait-elle pourquoi il était venu ou pourquoi il avait quitté le manoir en juillet ? Il se doutait bien que aucun Dragsa n'avait crié sur les toits la raison de son départ, aussi Irène n'était-elle probablement au courant de rien, mais devait-il lui dire ? Ne la mettrait-il pas en danger en lui révélant cela ? Car, assurément, elle ne prendrait pas la nouvelle de ce meurtre avec le sourire et une tasse de thé ; il la connaissait assez pour savoir qu'elle ne saurait plus masquer sa colère quand son père viendrait à la boutique. Tu me manquais... Il haussa les épaules, ayant choisi de répondre à la question "qu'est-ce qui t'a pris de venir ici". J'avais besoin de revoir un visage amical, même si c'était imprudent. Il fit cet aveu en baissant les yeux, mal à l'aise. Il avait été persuadé que le père d'Irène ne serait pas là, connaissant leurs horaires par coeur, mais si un changement avait eu lieu depuis juillet, il n'en aurait rien su et aurait pu tomber dans les pattes de M. Beaumont. Heureusement, ça n'avait pas été le cas et il espérait que Irène n'en parlerait à personne. Quoique, en fin de compte, il avait le droit d'être ici. Il avait quitté le manoir, mais ça ne l'exilait pas de la boutique de son amie. Il savait juste que son père le foutrait dehors à grands coups de pieds s'il le voyait et, au point où il en était, ça n'aurait pas pu le blesser.

La remarque d'Irène fit relever la tête de Dim en un geste outré. Que pensait-elle qu'il avait fait ? Que lui avait-on dit ? Il n'avait pas besoin d'être raisonné sur aucun point, n'avait pas commis d'erreur, contrairement à son assassin de père. Elle n'aurait rien pu faire et la déception qu'elle affichait fit monter la colère de Dimitri. Non je n'ai pas été suivi, je suis venu par Cheminées. Il répondit à sa question en s'efforçant de repousser son amertume et laissa passer deux secondes avant de lui poser la question. Qu'est-ce qu'ils ont dit sur moi ? Quelle raison ont-ils données à mon départ volontaire ? Il appuya bien sur le mot "volontaire" pour lui faire comprendre qu'il n'avait pas été banni ou expulsé, qu'il était parti de son plein gré. Que c'était son choix et que ce n'était pas lui le coupable et le méchant dans l'histoire. J'imagine qu'ils m'ont fait passer pour un fils ingrat ou comme le pire des abrutis, n'est-ce pas ? Ses aînés ne lui avaient jamais révélé quelle version des faits leur père avait donnée aux autres familles, aussi était-il dans l'ignorance sur ce fait depuis son départ. Peut-être avait-on dit qu'il avait défié son père, qu'il avait refusé de se soumettre à une règle, qu'il s'était montré trop insolent... La vérité en était tellement loin que ces possibilités lui donnaient envie de rire. Mais l'heure n'était pas aux rires : il était temps qu'il sache ce que le monde des sorciers disait sur lui.

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