Un zeste de douceur, quelques gouttes de tendresse et une pincée de paix ♦ [Maddison & Philipp] 

Décembre 2133

La première neige de l'année.
C’est toujours un moment un peu spécial, presque magique. Et tellement fascinant. Debout devant la fenêtre de mon bureau, j’observe le ballet silencieux des flocons qui virevolte devant mes yeux sur un fond de ciel glacé.
Dans un sens, je pourrais presque me sentir flatté que ça tombe sur aujourd’hui.

Un anniversaire.
Ça aussi c’est toujours un moment un peu spécial. Mais malheureusement ça fait longtemps qu’il n’a plus rien de magique là dedans. Rien à voir avec l’âge, c’est juste que le souvenir de Malo vient systématiquement me hanter tous les 10 décembre et gâcher la seule journée de l’année qui aurait pu m’apporter un petit peu d’insouciance et de réconfort.
Une fois de plus, je n’ai pas fermé l’oeil de la nuit, torturé par des cauchemars dont seul mon esprit semble détenir le secret. J’aurais donné n’importe quoi pour être avec Maddison. Pour échapper à ces délires nocturnes complètement incohérents. Et je l’avoue, l’idée de la rejoindre au beau milieu de la nuit m’a effleuré l’esprit avant que je ne finisse par rejeter l’idée. Je ne voulais pas être égoïste à ce point. De toute façon, on n'échappe pas à son passé, n’est ce pas ? Au pire, on apprend à vivre avec.

En soupirant, je me détourne des paysages enneigés et réintègre la réalité. La journée n’est pas partie pour être moins pénible que la nuit : j’ai rendez-vous dans un peu moins d’une demi-heure au Secrétariat pour participer à une réunion qui, pour être tout à fait franc, ne m’inspire pas du tout. Déjà, parce que ce lieu n’est lié qu’à de mauvais souvenirs et que si ça ne tenait qu’à moi, j'aurais déjà fait détruire ce bâtiment depuis longtemps. Ensuite, parce que ma soeur et quelques membres du Secrétariat seront également de la partie, ce qui rime à devoir supporter leur présence et leurs regards hostiles en prenant sur moi pour rester calme. Et pour finir, parce que je ne comprend pas en quoi ma présence est soudainement nécessaire pour parler de changements qui auront lieu à Beauxbâtons. Evidemment, je serai heureux de pouvoir aider Maddison dans ses choix, ce n’est pas la question. C’est juste que...ça me semble bizarre. Je me dis qu’il s’agit forcément de quelque chose de grave, ou de suffisamment important pour réunir tout ce beau monde dans le haut lieu du gouvernement européen... Et vu le contexte actuel, ça ne me rassure pas le moins du monde.

D’un geste nerveux, je jette un dernier coup d’oeil à la lettre toujours posée en évidence sur mon bureau, vérifiant une dernière fois l’horaire indiquée par Maddison dans son courrier. Je ne serai pas en retard, mais pas en avance non plus. En fait, je n’ai aucune envie de me risquer à me retrouver seul dans la même pièce que ma soeur et à la regarder dans le blanc des yeux en attendant l’arrivée des autres convives.
Avec des gestes lents, je range soigneusement ma baguette dans ma manche, juste à portée de main, et hésite à emmener un rouleau de parchemin supplémentaire. Le seul point positif de tout ça, c’est que Maddison sera là. Ça va être un peu bizarre parce que ce sera la toute première fois qu’on se verra en public depuis qu’on s’est embrassés en septembre, et j’ignore encore comment je dois me comporter pour ne rien laisser transparaître, mais sans toutefois l’ignorer complètement. J’espère au moins qu’on aura l’occasion de se voir quand la réunion sera terminée... Cette pensée me redonne un peu de courage, suffisamment en tout cas pour finir par transplaner.

Juste avant de m’engager parmi la foule d’employés qui déambulent dans les couloir d’un air empressé, je prend soin d’habiller mon visage de ce masque implacable que je réserve au commun des mortels. Faire semblant. Encore et toujours. Avoir l’air sûr de moi. Sûr de mes convictions. Après tout, ce n'est rien de plus qu'un jeu. Juste un stupide jeu. Et avec un peu de chance, je vais finir par y croire moi aussi. Par Merlin, remettre les pieds ici me donne la nausée.

Heureusement, il me faut moins de cinq minutes pour atteindre la salle de réunion où je suis sensé passer le reste de l’après-midi. J’inspire profondément et toque poliment contre le porte pour annoncer mon arrivée, avant de me résoudre à actionner la poignée. Quelle n’est pas surprise au moment où le battant s’ouvre sur une salle...vide. Enfin, presque vide puisque seule Maddison est déjà installée. Est-il possible que je me sois trompé d’horaire ? J’ai pourtant re-vérifié avant de partir...
Mes doutes sont de courte durée, et mon coeur bondit joyeusement dans ma poitrine au moment où nos regards se croisent. Je referme soigneusement la porte dans mon dos et lui adresse un sourire que j'aurais voulu un peu moins crispé.

Tu les a chassés finalement ? Excellente idée.

Je n'hésite pas longtemps avant de la rejoindre et de l’embrasser furtivement, savourant ce contact qui, aussi bref et rapide soit-il, à le don de me rassurer immédiatement.
Promis, si quelqu’un a la mauvaise idée d’entrer dans cette pièce là maintenant, il sera victime d’un maléfice cuisant dont il se souviendra pour l’éternité.

10 décembre 2133

Son rire est exquis. Doux, incroyablement réconfortant et … un tout petit peu espiègle ? Je n’en sais rien. En fait, je me dis que si je n’étais pas complètement amoureux je me demanderai comment elle fait pour être de si bonne humeur avant une réunion aussi importante. Mais dans l’état actuel des choses, mon cerveau à bien mieux à faire que de réfléchir à la question. Il est trop occupé à contempler son sourire malicieux, à suivre la courbe de ses lèvres et à observer la façon dont la joie se reflète dans ses yeux.
Sa gaieté est contagieuse. À un tel point que le trac lié à la réunion finit par se calmer un petit peu. Je lui souris à mon tour, incapable de lui résister plus longtemps. Dire qu’il y a quelques heures à peine j’aurais donné n’importe quoi pour ne pas avoir à venir ici… je commence à reconsidérer la chose sous un autre angle.

[...]

Je la dévisage quelques secondes, tellement surpris que j’en oublie de réagir. À part ma famille et éventuellement Kate, personne ne me souhaite jamais mon anniversaire… et en général, je ne fais rien pour le rappeler aux gens. De toute façon, à partir du moment où j’ai compris que mon propre père ignorait ma date de naissance, le concept d’anniversaire m’a paru soudain bien fade, presque superflu. Honnêtement, à quoi bon célébrer chaque année l’erreur que représente mon existence ?
Les yeux écarquillés, je me demande si Maddison sait tout ça. J’ai beau essayer de me rappeler dans quelles circonstances j’aurais pu partager ces informations avec elle … mais rien n’y fait. Je n’ai aucun souvenir de quoi que ce soit, alors je me dis que j'ai dû laisser échapper la date lors d'une discussion sans importance il y a suffisamment longtemps pour que je ne m’y attende pas, pour que je ne me doute de rien et que je saute à pieds joints dans son piège.

Mon sourire s’élargit un peu plus à mesure que les pièces du puzzle se mettent en place. Pas de réunion. Pas de Tiphaine, de regards en coin, de sous-entendus dérangeants ou de sujets qui fâchent. Je jette un coup d’oeil circulaire à la salle vide et une bouffée d’affection me submerge tout entier. Malgré l’aversion que je porte à mon anniversaire, le fait que Maddison y ait pensé et se soit donné du mal pour me surprendre me procure une vague de plaisir totalement inattendue. Et je n’arrive pas à choisir si c’est ça ou son air ravi qui me touche le plus.
Dans un élan de tendresse, je tends les bras de quelques centimètres, juste ce qu’il faut pour glisser mes doigts au creux des siens. Je l’attire doucement vers moi et en profite pour l’embrasser sur le front.

Merci.

J’ai mis toute la sincérité dont je suis capable dans ce petit mot, et pourtant, j’ai encore l’impression qu’il ne suffit pas à exprimer toute la gratitude que j’éprouve à ce moment précis. En quelques secondes, elle vient de m’offrir une porte de sortie inespérée. Un échappatoire pour oublier le quotidien, les responsabilités et les galères qui y sont liées. Une parenthèse magique pour s’offrir le luxe d’être heureux le temps d’une après-midi entière.
Mes joues retrouvent leur couleur habituelle et le masque intraitable dont j’avais habillé mes traits avant d’entrer dans la pièce s’efface lentement. Même les crampes qui me vrillaient le ventre il y a quelques minutes ont disparu presque comme par magie...
Sacrée Maddison. Elle est géniale. Et je l’adore.

Sa proposition concernant la suite du programme m’arrache un petit rire enjoué.
Travailler. Quelle drôle d’idée ! Comment espérer réfléchir et rester concentré sur des sujets sérieux avec elle dans la même pièce que moi ? Inutile d’essayer pour savoir que c’est voué à l’échec : je ne tiendrai pas cinq minutes d'affilée.
Non, le travail attendra demain. Voire la semaine prochaine, après tout, rien ne presse.

Je jette un coup d’oeil curieux aux parchemins que Maddison a fait apparaître sur la table mais je sais déjà que quel que soit le sujet d’étude, je préfère mille fois m’en aller plutôt que de rester. N’importe quel endroit sur terre me conviendrait davantage que le Secrétariat et ses couloirs hantés par les fantômes du passé.

J’aimerais mieux aller loin d’ici…

Je souris. Peu importe la destination, je sais que je la suivrai les yeux fermés.

10 décembre 2133

Si j’ai déjà patiné ? Je hausse les sourcils mais avant même de pouvoir poser des questions, Maddison nous fait transplaner hors du Secrétariat. Ebloui par la soudaine clarté des lieux, je suis obligé de cligner des yeux quelques secondes avant que le paysage ne se cristallise devant moi. La première pensée qui me traverse l’esprit est que je ne suis jamais venu ici. La deuxième est que c’est magnifique. Je regrette presque de ne pas avoir une boîte de crayons à ma disposition pour pouvoir figer cet instant sur le papier. Un sourire vague flottant sur mes lèvres, j’observe les alentours avec attention, essayant de graver le plus de détails possibles dans ma mémoire pour m'en souvenir plus tard. Le lac gelé où se miroite le ciel. La fine pellicule de neige qui recouvre les herbes folles, les arbres figés par le froid. Le banc qui semble profondément endormi. Le bruit du silence.

Ravi, je tourne la tête vers Maddison avec l’impression d’avoir atterri au beau milieu d’un conte moldu. La scène a quelque chose d'incroyablement poétique et d’apaisant. C’est un peu comme flotter dans un rêve où le temps serait suspendu et où le moindre petit souffle suffirait à tout balayer.
Comme un écho à ces pensées, l’air froid choisit ce moment pour venir m’effleurer le visage, et je remonte machinalement le col de ma veste. Quand je pense que j’ai hésité à la prendre en quittant Durmstrang...je me félicite mentalement d’avoir eu la présence d’esprit de le faire tout de même.

Laisse moi deviner où on est… en France ?

Je me demande si c’est un endroit qu’elle connaît bien. Si elle a l’habitude de venir ici, de se promener et de profiter du paysage. Peut-être même qu’elle est déjà venue patiner sur ce lac par le passé ? Après réflexion, je me demande si les sorciers pratiquent ce genre de divertissements… je ne me suis jamais posé la question. En tout cas je n'ai jamais vu personne en faire sur le grand étang qui borde Durmnaer. Quand j'étais étudiant on avait pour coutume de le traverser le plus vite possible sans glisser, mais jamais avec des patins aux pieds.

Je jette un coup d'oeil à Maddison qui rejoint le lac avec une aisance surprenante. Debout sur la glace, elle semble plutôt à l'aise. Je lui souris et balaie ses doutes en secouant vivement la tête. Evidemment que ça me plaît ! Et même si patiner n’était peut-être pas une activité à laquelle j’aurais pensé spontanément, je me laisse prendre au jeu avec plaisir.

Ne t’en fais pas, c’est parfait. Vraiment.

Par chance, il y a un grand lac derrière le manoir où j'ai grandi. Et ma famille étant moldue, j'ai souvent eu l'occasion d'aller y patiner avec mes cousins pendant les vacances de noël. Je me souviens de nos courses effrénées, de nos tentatives pour inventer les acrobaties les plus surprenantes et nos parties de hockey improvisées qui se finissaient inévitablement en disputes.
On revenait le soir couverts de bleus, frigorifiés et épuisés mais heureux. Je me souviens de la soupe chaude qui nous attendait dans la cuisine, si bien que j’ai presque l’impression de sentir son goût épicé sur ma langue… C’est drôle, j’ai l’impression que c’est la première fois que je repense à tout ça après toutes ces années…

Je me lève et rejoins maladroitement Maddison sur le lac, me retenant tant bien que mal à sa main. Je parviens à me retrouver à sa hauteur sans trop de problèmes et pose ma main sur son épaule pour garder l’équilibre. C'est moins évident que dans mes souvenirs mais en même temps la dernière fois que je me suis tenu sur des patins je devais avoir...douze ans. Je ne suis pas sûr d’avoir la même souplesse et le même équilibre qu’à l’époque, mais je pense que je devrais pouvoir me débrouiller quand-même.
Amusé malgré moi par la situation, je jette un coup d’oeil enjoué à ma partenaire. J’ai une folle envie de retrouver l’insouciance de mon enfance, quitte à me ridiculiser complètement pour y arriver.
Oubliés Durmstrang, les mangemorts, les responsabilités et les soucis du quotidien : cette après-midi n’appartient qu’à Maddison et moi et je compte profiter le plus possible de chaque seconde qui passe.

Le premier qui tombe offre un chocolat chaud à l'autre.

Je ponctue ma phrase d’un sourire malicieux, bien décidé à ne pas la laisser gagner la partie.

10 décembre 2133

Concentré pour ne pas perdre l’équilibre, j’essaie vaguement de retenir Maddison mais elle est plus rapide que moi : en quelques mouvements, elle est déjà hors d’atteinte. Je reste immobile quelques secondes et la regarde s’éloigner, fasciné par la facilité avec laquelle elle se déplace sur la glace. On dirait qu’elle a fait ça toute sa vie. Sans la quitter des yeux, je me demande où elle a appris à patiner aussi bien. Chez elle, en Australie ? L’idée me semble d’abord étrange, presque décalée. Je ne sais même pas à quoi peut bien ressembler l’hiver là-bas … Y’a t-il seulement des lacs gelés ? De la neige ? Sans trop savoir pourquoi, je me dis qu’elle l’a plus probablement appris ici, en France, pendant ses études avec ses amies. Rêveur, j’essaie de l’imaginer à seize ans sur ce même lac et avec le même regard enjoué. C’est drôle, malgré l’amitié qui nous a lié pendant presque dix ans, je me rends compte que j’ai encore énormément de choses à apprendre sur elle. L’inverse est vrai aussi, mais on a tout le temps du monde pour ça.

Alors qu’elle me tourne le dos, je décide de m’élancer à mon tour. Prudemment, j’ose un premier petit pas en avant. Puis un deuxième. Et même un troisième. À défaut d’être élégant, ça a au moins le mérite d’être efficace : pour l’instant, je suis toujours debout. On est encore loin de l’aisance et de l’agilité de mon enfance mais je me dis qu’avec un peu de pratique ça devrait revenir.

Stratégiquement, je décide de longer la rive du lac. C’est un peu plus long que de couper par le milieu mais avoir la terre ferme à portée de patins a quelque chose de rassurant. Au moins pour le début. Avec plus ou moins d’habileté, je me débrouille pour arriver jusqu’à l’arbre qui trône à quelques mètres de là. Par chance, ses branches sont assez basses pour que je puisse y prendre appui. J’en profite pour reprendre mon souffle et essayer d’évaluer la distance qu’il me reste à parcourir pour arriver à la hauteur de Maddy. Elle est encore loin, il va falloir accélérer. Je finis donc par repartir et pris d’un soudain accès de confiance, je me penche en avant pour prendre plus de vitesse.
Honnêtement, je me débrouille mieux que ce que j’espérais et mon sourire s’élargit quand je remarque que Maddison a ralenti l’allure. Avec un peu de chance, je vais finir par la rattraper...

Mais alors qu’il ne reste plus que quelques mètres entre nous, je prend brusquement conscience que je ne sais plus comment freiner. Me fiant à mon instinct, j’incline mes patins sur le côté mais j’ai sous-estimé la distance qu'il me fallait et je comprends que je n’arriverai probablement pas à m’arrêter à temps. Pour éviter de percuter Maddison de plein fouet, je dévie brutalement ma trajectoire mais la pointe de la lame de mon patin se plante dans la glace et je trébuche. Dans un réflexe, je tend la main et attrape son bras. Ou son épaule. Ou son poignet, je ne sais pas. Quoi qu’il en soit ça ne suffit pas à stopper ma chute et je me retrouve bientôt à plat ventre sur la glace, à glisser encore sur un bon mètre avant de pouvoir m’arrêter.

Tant bien que mal, je prend appui sur mes mains pour essayer de me remettre debout mais je dérape avant même d’avoir réussi. Résigné, je reste donc à genoux sur la glace et lève la tête vers ma partenaire. La situation est tellement cocasse que j’éclate de rire au moment où nos regards se croisent. Il m’aura fallu à peine dix minutes pour perdre à mon propre jeu.

Ça compte vraiment ?

Essayant de retrouver mon sérieux, j’essaie de copier la moue mi-coupable, mi-implorante que j’ai vu tant de fois sur le visage de mes élèves quand ils n’ont pas appris leur leçon ou qu’ils ne rendent pas leur devoir à temps. En général ça ne marche pas avec moi mais peut-être qu’avec Maddison c’est différent ?

10 décembre 2133

HRP:

Mon rire finit par s'évanouir, emporté au loin par la brise glacée. Vaguement amusé, je regarde Maddison s'accroupir face à moi, notant une nouvelle fois l’aisance avec laquelle elle se déplace sur la glace. Mes yeux s’attardent rapidement sur son sourire avant de se laisser emporter tout entiers par son regard. L’éclat rieur que j’y perçois me ravit et les secondes qui suivent s’étirent en silence, comme si les mots étaient soudain devenus superflus face à l’harmonie parfaite qui règne sur ce petit bout de lac.

[...]

Sa réplique m'arrache une moue exagérément boudeuse. Je suis mauvais perdant et je le sais parfaitement. Aussi loin que je me souvienne, je l’ai toujours été. Je me souviens des crises mémorables que je piquais, enfant, quand je perdais à un jeu et plus tard, à Durmstrang, quand il s'agissait de défendre le titre de meilleur élève.
Pourtant, à ce moment précis, je ne parviens pas à être tout à fait crédible. La présence de Maddison adoucit considérablement le sentiment de défaite. En même temps, comment espérer résister à ce sourire ?

Malicieux, j’attrape les mains qu’elle me tend, bien décidé à la faire basculer vers moi plutôt qu’à me relever. Sauf qu’elle est plus rapide. Surpris, je la laisse m’entraîner sur le côté et me retrouve bientôt allongé avec elle à même la glace. Je lui lance un coup d’oeil amusé et observe longuement son visage tourné vers le ciel.

[...]

J'acquiesce en silence. Au milieu de nulle part. Loin de nos responsabilités respectives, des doutes du quotidien, des soucis à régler.
Là, au milieu des sapins, couchés sur la glace, on ne doit rien à personne.
Elle a raison. Ça fait du bien.

Si... Ça me rappelle chez-moi.

Chez-moi. Un petit coin de bonheur perdu à des centaines de kilomètres d'ici. Le seul endroit sur terre où je me sens véritablement en paix. En sécurité.
Je me dis que j'y emmènerai Maddison un jour, pour lui faire découvrir mon univers. Pour lui montrer où j'ai grandi. Pour lui présenter ma famille. Pour lui montrer le lac où j'aimais me baigner en été, la forêt qui borde la maison et les chemins de terre qui mènent aux villages voisins.

Pris d'un accès de nostalgie, je tourne mon visage vers le ciel et inspire profondément. L'air hivernal me brûle les poumons et pourtant, c'est une sensation presque agréable. Comme si cela suffisait à me purifier de tous les problèmes et pensées négatives accumulés depuis la rentrée.
Je ferme les yeux quelques secondes, juste ce qu'il faut pour savourer pleinement la magie du moment. Tout est parfait : le calme qui nous enveloppe, le parfum rassurant de Maddison, ses mèches de cheveux qui me chatouillent la joue… J'aimerais que ça dure toujours.

J'ignore combien de temps s'écoule avant que je ne rouvre les yeux. Et alors que la réalité se matérialise à nouveau autour de moi, je me souviens de la première fois où j'ai croisé Maddison. De ses boucles blondes, ses yeux rieurs, sa franchise tellement déstabilisante. Je ne sais pas pourquoi il m'a fallu autant de temps pour me rendre à l'évidence que je tenais à elle. Ni pourquoi mes sentiments me faisaient tellement peur.
Et soudain, sans trop savoir pourquoi, j'ai l'impression étrange que je la connais depuis toujours. Qu'elle est là depuis le début. Et que d'une façon ou d'une autre, elle sera toujours là.

Maddy ?

Je tourne lentement la tête vers elle. Et alors que mon regard cherche le sien, mon sourire perd sa malice pour devenir plus sérieux. Plus intime.

(Français) Je t'aime.

Les mots franchissent mes lèvres tout seuls, comme une évidence. Ce sont les seuls que j'ai pris la peine d'apprendre en français. Parce que je trouve que c'est comme ça qu'ils sonnent le mieux.
J'ai souvent voulu les offrir à Maddison sans jamais savoir comment m'y prendre. Ce n'était jamais le bon endroit, jamais le bon moment, jamais le bon contexte. Et pourtant, ça fait des mois, sans doute même des années qu'ils attendaient sagement sur le bout de ma langue que je trouve un jour le courage de leur donner vie.
Une chute en patin à glace aura été l'étincelle qui manquait.

10 décembre 2133