Lancer le dé pour sortir de prison ~ Derek & Timaël 

Cela faisait deux semaines qu’il occupait cette pièce. Maintenir un lien avec la chronologie était essentiel. C'était le b.a.-ba de ses divers entraînements. S'il perdait le fil c’était la porte ouverte à la folie et ce n’était clairement pas le moment de tenir des propos incohérents. Il devait avoir l’esprit clair pour affronter son procès. Quand aurait-il lieu ? Il n’en avait aucune idée. Les gardiens n’étaient pas très portés sur la discussion. Tim s’ennuyait profondément ici malgré la présence à ses côtés de son frère Darko. Il faut dire que les deux bulgares n’avaient pas grand-chose en commun et donc à partager. Au moins ils ne perdaient pas de temps à se fâcher, c’était un progrès considérable. Chaque fois qu’ils discutaient ils tâchaient d’élaborer une stratégie pour leur famille. La plupart du temps la cellule était plongée dans le calme, chacun méditant et tentant de tuer le temps à leur manière. Timaël éclipsait toute pensée sur son quotidien. Il était hors de question qu’il se sabote. Aucun plan sur l’avenir non plus. S'il restait enfermé à la suite de son procès, il ne s’en remettrait pas.

Pour maintenir le décompte des jours, Timaël s’appuyait sur un événement simple de la journée, le plateau du déjeuner. De ce qu’il ressentait, ils étaient amenés à heure régulière. Néanmoins, aujourd’hui le rythme était complètement perturbé. La cellule avait été ouverte une première fois pour informer Darko qu’il serait transféré ailleurs pour la journée. Un interrogatoire certainement. Un simple regard avait suffi aux jeunes hommes pour se comprendre, leurs discours ne devaient pas bouger d’un iota pour protéger au maximum leur famille. Ils étaient formatés à cela de toute manière. Ils n’étaient pas devenus Pozhiratelis par hasard. La deuxième fois Darko fut effectivement escorté. Tim eut ensuite droit à son déjeuner, à une heure plus avancée lui semblait-il. Serait-ce trop demander d’avoir une horloge dans cette cellule ? Enfin, la porte s’ouvrit une quatrième fois. Le Marloes se redressa sur sa couchette, sa nouvelle demeure étant devenue une véritable gare en l’espace de quelques heures. Pour une surprise, cela en était une. Il ne s’attendait pas à de la visite. La silhouette qui se dégageait de la porte lui était familière. Surtout il était peu surprenant que l’homme se trouve ici. Les bougies l’éclairèrent enfin. Stark.

Son chef le salua. En anglais. Le changement était bien opéré. Tim se demandait bien à quelle vitesse la société évoluait depuis son arrestation. Comment, également, la brigade s’en sortait après les vagues d’interpellations et la paperasse qui allait avec. Si trace ils conservaient vu comment certaines opérations s’étaient déroulées. Il sourit ensuite en entendant la question posée. Non seulement il devait peu se soucier de la réponse, mais elle était surtout vaine. Il se sentait pris au piège, amer, coupable et étonnamment en forme. Il mangeait bien pour ne pas se laisser couler, il ne déprimait pas parce qu’il passait ses journées à exclure toutes pensées négatives ou même positives. Il ne pensait à rien d’autre qu’à la stratégie pour s’en sortir avec les siens. Au risque de paraître sans cœur, il était surtout extrêmement bien entraîné.


Cela répondait aux deux questions. Après tout il ne pouvait pas non plus se plaindre de ses conditions de détention. Pour une réponse elle était succincte, sauf qu’il n’avait à priori plus d’effort à faire pour satisfaire Stark. Tout de même, de la position en tailleurs, il déposa ses pieds sur le sol pour s’asseoir plus convenablement. Puis il présenta la couchette en face de lui à son chef.


Pas besoin de provocation, il avait adopté l’anglais.

Pando

C'était une grande question. Pourquoi Stark avait-il fait le déplacement jusqu’à cette cellule. Il était peu probable qu’il cherche seulement à l’humilier. Pour cela, de multiples occasions s’étaient présentées à lui, en particulier le moment de l’arrestation du Marloes. Il n’avait pas non plus besoin de prouver sa supériorité, encore moins auprès de l’un de ses subalternes. C'était autre chose. Timaël supposait que cela avait un lien avec son procès, bien qu’il ne comprît pas pourquoi il se donnait cette peine. Stark n’avait rien à gagner, que ce soit pour le sortir d’affaire ou au contraire l’enfoncer. Il attendait ainsi avec impatience la réponse que pouvait lui donner son ancien chef. Il l’observa s’asseoir en face de lui. La discussion risquait d’être fort intéressante, voire même longue.  

Son procès. Il avait vu juste. Il n’était pas prévu pour les jours à venir, c’était une nouvelle. Cela signifiait qu’il devrait encore patienter quelques temps dans cette cellule. Bien que la perspective de se retrouver devant les jurés n’avait rien de réjouissant, Tim avait tout de même hâte d’en finir. Fermer son esprit, se tenir alerte, était épuisant. Quel que soit le jugement rendu, il pourrait ensuite se relâcher. Bien sûr l’une des issues était plus sinistre. Il ne préférait pas l’envisager, il devait rester lucide jusqu’au bout. Stark poursuivit. Lui éviter un emprisonnement à vie. Ils n’y allaient pas de main morte. La liberté ou une vie de détention. Il n’y avait donc pas d’autres alternatives ? Soit tout blanc, soit tout noir. Et ceux qui avaient été endoctrinés jeunes et qui avaient fini par croire aux idées de pureté. Ceux qui avaient été entraînés de force. Sans nier la multitude d’actes répréhensibles, tous les Pozhiratelis n’étaient pas purement mauvais. Ce nouveau monde semblait tout aussi manichéen que le précédent, seulement cette fois-ci c’était les méchants que l’on punissait.  

Timaël resta silencieux. En ne coupant pas la parole à Stark, il finissait d’avaler la pilule. S'il s’était blindé ainsi au cours des derniers jours c’est qu’il se doutait déjà de comment les choses se passaient. Il n’avait pas d'énergie à perdre à feindre l’ignorance ou à crier à l’injustice. Il avait été l’un des rouages d’une entreprise mortifère, il avait accepté ce rôle sans se révolter, il était le premier responsable de ce qui lui arrivait. Il était maintenant temps de s’intéresser à l’autre partie du discours de Stark. Ce dernier souhaitait lui éviter ce sort et pour cela il suffisait de suivre son plan. Pouvait-il lui faire confiance ? La réponse était oui. Il n’aurait pas pris la peine de se déplacer s’il ne comptait pas tenir son rôle. En revanche, Tim était-il prêt à le suivre aveuglement ? Là ce n’était pas aussi simple. Il voulait s’en sortir, certes, mais il se sentait bien incapable d’abandonner les siens. 


Timaël hésitait. Il ne pouvait pas laisser passer cette chance. Il était prêt à suivre son ancien chef, prêt à faire une croix sur les Pozhiratelis. Cela était bien moins couteux que de rester enfermé. Mais il ne voulait pas être libre en sachant que les membres de sa famille ne l’étaient pas ou n’avaient aucune chance de l’être un jour.  


Il le regarda fixement. Il ne demandait pas l’impossible, une amnistie pour tous, mais simplement des jugements justes. Peu importe s’ils étaient à l’origine de son endoctrinement, Tim n’acceptait pas de les laisser couler pour se sauver. Il ne restait plus qu’à espérer que cela ne mettrait pas à mal les projets de défense de Stark.

Pando

Timaël savait ses revendications étonnantes. L'enjeu étant d’éviter la case prison à vie, ce n’était pas le moment de faire la fine bouche. Il était, en réalité, dans une position qui ne lui permettait pas certaines exigences. Stark pouvait très bien se lasser et le laisser se débrouiller. Comme il le disait, il n’avait rien à gagner, il tentait seulement le pari de sauver un de ses subalternes. En remerciement des bons et loyaux services du Marloes au sein de la brigade ? Peut-être. En tout cas ce n’était pas une raison suffisante pour accepter tout un tas de conditions. Tim désirait ne pas noyer sa famille pour s’en sortir mais, il voulait sortir de là vivant. Cela ne lui semblait pas si impensable. Il avait bien d’autres lignes de défense à avancer.

Le bulgare écoutait l’homme en face de lui avec attention. Il ne consentait pas à se lancer dans la stratégie de défense de l’ensemble de la famille. Rien de surprenant là-dedans, surtout qu’ils pourraient tous être perdants. Puis, il y avait un pas entre accepter de ne pas mettre les Marloes en porte-à-faux et se dévouer pour les sortir d’affaire. Pas que Timaël ne demandait pas à son patron de franchir. En revanche, des jugements en bonne et due forme semblait lui convenir. C'était déjà une grande avancée. Comme quoi, ses revendications n’étaient pas si folles. La suite le rassurait également. Olga et Ivan Marloes n’avaient pas participé à des opérations de grandes envergures. Ils s’étaient couverts tout en restant proche des grands noms du parti. Les garçons s’étaient chargés du travail sur le terrain, maintenant ainsi la famille dans les petits papiers. Cela sauverait les parents, comme quoi le grand ménage au manoir avant les arrestations avait été fort utile. Petar s’était également montré plus discret et pouvait s’en sortir sans trop de dommage.

Finalement, les dossiers les plus volumineux revenaient aux plus jeunes. Ils avaient même opéré en duo. Ils discutaient depuis des jours du meilleur moyen pour protéger leurs proches, la vérité était que le travail était déjà fait. En représentant la famille ils avaient concentré l’attention sur eux. Si Timaël n’avait jamais torturé quiconque, il n’avait pas arrêté son frère dans de telle pratique. Il en devenait tout autant coupable. Sa seule explication étant qu’il ne souhaitait pas se mettre à dos les siens, l’argument était bien maigre face à la santé de la victime. Puis, il avait participé aux arrestations des opposants, sans violence gratuite certes mais, contribuant à la prospérité du régime totalitaire qui avait fait tant de mal. Quant aux meurtres, s’il avait un corbeau tatoué sur la clavicule c’était qu’il en avait un à son actif. Cela faisait beaucoup d’éléments à charge et lorsqu’il répertorié tout cela il se demandait bien comment il pouvait trouver une défense viable. D'autant qu’il était d’accord avec Stark, l’argument de se dédouaner n’était pas envisageable.


C'était tristement un poids en moins. Stark ne comptait pas pointer du doigt ses parents. À la rigueur, il pouvait plaider cet argument pour sa participation au coup d’état et au meurtre de la dernière épreuve, tous deux menés avant la fin de ses études. Pour ce que cela changeait sur la longue liste des méfaits.


Ne plus croire à l’idéal Pozhiratelis depuis des années ne le sauvait pas. Et si cela préservait un petit peu sa conscience ce n’était même pas un pansement suffisant pour un sentiment global de culpabilité. Si Stark avait une idée pour le sauver c’était bien le moment de le dire. Timaël ne comptait pas, pour le moment, mettre en avant son lot de bonnes actions. Il préférait garder ces cartouches en réserve.

Pando

Stark était-il venu le voir avec une idée bien ancrée d’une stratégie de défense ? Ou alors comptait-il broder autour des réflexions du Marloes ? À vrai dire, jusqu’à maintenant, le jeune homme avait surtout réfléchi aux moyens de couvrir sa famille. Avec Darko, ils avaient accordé leur version pour ne pas mettre en porte-à-faux les parents. Il avait bien quelques pistes pour sa défense et compter réfléchir à cela dans les prochains jours. En revanche, il n’avait pas anticipé que la situation pouvait-être à ce point périlleuse pour lui. Il n’avait pas imaginé qu’il risquait réellement un emprisonnement à vie. Il avait encore l’espoir que l’absence de crime dans son dossier l’exempterait d’une telle peine. Il avait été bien naïf, il en avait conscience. La venue de Stark aurait au moins une utilité. Tim ne se présenterait pas à son procès avec de faux espoirs. Enfin, ce n’était pas le moment d’être fataliste. La naïveté l’empêchait de plonger dans un profond désespoir.

Timaël écouta attentivement son patron. Il était fichu. Si l’homme partait du principe que le Marloes n’avait pas réalisé d’autres missions depuis l’obtention de son badge la défense pouvait s’effondrer à tout moment. Malheureusement, c’était faux. Il avait tenu cette double casquette entre son travail pour le compte de la brigade et ses actions commandées par les corbeaux. Passé les vagues de terreur, les Pozhiratelis avaient eu besoin de maintenir un climat de crainte et de se débarrasser de leurs ennemis. Tim n’avait pas traqué de sorcier né-moldu, ni brutalisé ou tué les sorciers contre son régime. En revanche, d'autres arrestations avaient eu lieu, puis les opposants libérés avaient reçus des visites pour s’assurer qu’ils restaient dans le droit chemin. Sans commettre de crime il avait contribué au maintien du climat de terreur et ce, de manière active. Cela le surprenait qu’à ce stade Stark ne soit pas au courant de cela. Finalement, ce secret devait être bien gardé et il valait mieux se taire. Peut-être que la Cour était elle aussi ignorante de ces méfaits. Il avait encore la possibilité de se taire et parier sur la chance que cela ne ressorte pas durant son procès. C'était risqué et en même temps il n’avait pas envie d’avouer cela à Stark. Non pas qu’il pensait que cela allait le décevoir, mais tout de même il pouvait lui rester un semblant d’estime.

Tim le laissa poursuivre tout en se demandant s’il devait faire preuve d’honnêteté ou non. L'accent sur les bonnes actions pouvait le sauver, sauf s’ils découvraient pendant le procès qu’il avait caché des actes sous le tapis. Décidément, ce n’était pas le moment pour lui d’être honnête.


Maelle qu’il avait prévenu des vagues à venir pour qu’elle puisse fuir et protéger sa famille. Cela dit, se sentait-il prêt à servir cet exemple ? Après tout, il avait agi pour le bien de son amie, pas pour celle de la communauté des sorciers.


En admettant cela, Tim confirmait également qu’il avait trompé Stark. Il ne serait pas surpris de le voir partir.


Après c’était aux brigadiers de fournir un dossier complet.

Pando