Erreur 

Elle venait tout juste de s'asseoir quand on lui annonça une visite imprévue. Un soupir, un accord murmuré, une porte claquée, et puis l'attente. Quelqu'un venait la déranger pour elle-ne-savait quelle raison et ça l'agaçait. Pourtant, elle avait toujours rêvé de ce job, de ces responsabilités, de ce titre. Secrétaire Adjointe, ça claquait, non ? Ca imposait le respect, la crainte, l'obéissance. Sauf qu'elle était une usurpatrice, qu'on lui avait imposé ce siège afin de la surveiller, de la tenir en laisse, de la brider. Les tâches qu'on lui confiait étaient minables et elle ne pouvait jamais prendre de décisions sans qu'elles soient analysées par dix personnes avant d'être approuvées ou rejetées. Elle se sentait comme une gosse à qui on promettait des bonbons mais qui n'obtient au final qu'une pauvre sucette sans goût. Jusqu'il y a quelques semaines, pourtant, elle s'en contentait. Elle avait perdu sa combativité, ce feu qui brûlait autrefois en elle et son amour propre. Elle avait accepté son statut de pantin et s'était contentée de ce qu'on lui donnait. Aujourd'hui, elle en voulait plus. Elle s'était enfin réveillée, et la vie qu'elle menait ne lui convenait pas, elle visait plus haut, attendait plus de son avenir. Elle voulait l'Europe.

Elena releva la tête de son bureau quand quelques coups furent donnés sur le battant de sa porte. D'un mot, elle invita son "rendez-vous" à entrer et jaugea rapidement la fille qui ouvrit la porte. À peu près de son âge, charmante, maladroite et mal à l'aise. Elle ne maniait pas bien le bulgare, faute grave à cette époque, et avait bien de la chance de tomber sur quelqu'un qui le pratiquait à merveilles. Sa mère ayant étudié à Beauxbâtons, elle avait été forcée d'apprendre cette langue et l'avait ensuite transmise à sa progéniture. Voyant l'embarras dans les yeux de la fille, Elena décida de ne pas en rajouter et s'adressa à elle dans un français chantant. Vous avez du cran de vous montrer ici sans savoir parler le bulgare, mademoiselle. Vous savez que c'est la nouvelle langue officielle en Europe, n'est-ce pas ? Son ton avait été un peu sec, peut-être trop, mais elle n'en avait cure. Par les temps qui courraient, il était rare de croiser quelqu'un de souriant qui croyait toujours à la paix et aux autres illusions qui allaient avec. Heureusement pour vous, vous êtes tombée sur moi et je ne signalerai pas cette petite "erreur". Elle lui sourit froidement, comme si elle venait de lui faire une fleur, puis tendit une main vers le siège face à elle pour que la demoiselle s'y asseye.

Elena laissa passer quelques secondes de silence durant lesquelles elle plaça devant elle un parchemin et sa plume préférée, de la couleur de ses cheveux. Accoudée sur son bureau, elle planta ses yeux de glace dans ceux de la jeune femme. Expliquez-moi donc pourquoi on vous a envoyée dans mon bureau, mademoiselle... ? Elle interrogea la blonde du regard, se demandant si elle reconnaîtrait son nom ou pas. Si la jeune fille venait d'une famille célèbre, elle serait obligée de se tenir pour ne pas attirer la foudre sur le Secrétariat, et donc sur sa mère qui le lui ferait payer cher. Dans le cas contraire, elle pourrait se montrer aussi désagréable que son humeur lui dictait d'être. Elle avait envie de râler, d'être de mauvaise foi, de mépriser, d'effrayer... Elle voulait redevenir l'ancienne Elena, même si cela impliquait d'oublier les changements que Seth avait contribué à faire en elle. Il l'avait rendue meilleure, plus gentille, plus douce... et regardez où ça l'avait menée. À présent, elle avait soif de pouvoir et était prête à écraser quiconque se mettrait sous ses bottes.

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Il était vrai qu'apprendre une langue ne se faisait pas en quelques jours et que le bulgare n'était pas la plus facile qui soit. Mais cela faisait plus d'un an qu'elle avait été déclarée langue européenne et la plupart des gens avait fait l'effort d'appendre à la parler le plus vite possible, par conviction ou par peur. Si cette demoiselle n'avait pas voulu faire l'effort de les imiter, c'était son problème. Aujourd'hui, elle avait eu la chance de tomber sur quelqu'un qui parlait le français, mais ça ne serait pas toujours le cas. Il viendrait le jour où elle se retrouverait face à quelqu'un qui la punirait pour ça, et elle regretterait amèrement de ne pas avoir mis sa fierté de côté le temps de quelques mois. Et puis, c'était aussi intéressant de parler un nouveau langage, non ? Pas seulement par esprit politique, mais également par curiosité, pour discuter avec de nouvelles personnes, pour pouvoir voyager ou connaître de nouvelles cultures. Il ne fallait pas voir le mal partout, même s'il se trouvait à beaucoup d'endroits à l'heure actuelle, il fallait le reconnaître...

Elena sourit avec ironie à la réplique de la jeune fille, laissant son regard aussi froid que la glace. Mais bien sûr. Malheureusement, tout le monde doit passer par là pour être en règle. Elle haussa les épaules, tentant de masquer son dégoût à l'idée de réciter des lois instaurées par les Pozhiratelis. Le col de sa robe montait assez haut pour cacher son tatouage en attendant qu'elle trouve le moyen de se l'arracher sans avoir à subir des répercussions. Peut-être un incendie ? Elle se brûlerait la peau à plusieurs endroits, notamment sur sa clavicule et - oh dommage - sa marque aurait disparu ! Malheureusement, sa mère aurait vite fait de la renvoyer chez Ivankov pour se refaire tatouer. Et cette fois peut-être choisirait-il d'afficher le corbeau sur son front, pour qu'elle ne puisse plus se cacher. Elle grimaça intérieurement, laissant croire à la fille que, si elle voyait des traces de dégoût sur son visage, c'était à cause de son léchage de bottes bien peu subtil. Ce n'était pas comme ça qu'elle voulait régner, en imposant la crainte à son peuple qui serait forcé de jouer aux bons petits soldats face à elle. Elle aurait voulu qu'ils l'aiment, qu'ils aient confiance en elle, assez que pour lui dire leur vraie façon de penser quand c'était nécessaire. Mais voilà ce que sa mère avait fait de l'Europe, voilà ce qu'elle était obligée de regarder tous les jours.

Elena balaya les remerciements de la fille d'un geste de la main et attendit qu'elle se présente. Beaumont. Ce nom lui disait vaguement quelque chose, mais pas assez que pour qu'elle soit forcée de se mettre à genoux devant cette Irène. D'autant que la jeune femme venait réclamer de l'argent pour une commande non payée. Elena la fixa une seconde, attendant la suite, mais rien ne vint. Elle ne voyait pas trop ce qu'elle avait à voir avec cette histoire ni même ce qu'elle pouvait y faire, mais on l'avait envoyée chez elle. Comprenant qu'elle n'aurait pas d'explications, Elena se pencha sur son bureau. Je vois. Mais savez-vous que le service qui gère le commerce est trois étages en-dessous ? Elle pointa un index vers le bas, consciente d'infantiliser la jeune femme et de la prendre pour une idiote. Mais elle ne comprenait pas pourquoi c'était ici qu'elle se trouvait et non dans le département adéquat, à discuter avec quelqu'un qui saurait l'aider à récupérer ses 125 Gallions. Vous faire un bon de cette somme ne relève pas de ma juridiction, mademoiselle Beaumont, j'en suis navrée. Elena haussa les épaules et se renfonça dans son siège, croyant clôturer la conversation par ce geste.

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