Marche ou crève (Lynn & Etana) 

Il faisait froid, la neige recouvrait toute la propriété et les températures étaient loin sous la barre du zéro, pourtant Lynn se promenait en jupe noire et en collants déchirés, d'apparence insensible au vent glacial qui lui soufflait dans les jambes. Un pull en laine et une veste en cuir couvraient ses bras, tandis qu'une écharpe lâche s'occupait de son cou. Un bonnet sur ses cheveux lâchés complétait sa tenue dans les tons noirs / gris. Ceux qui regardaient dans sa direction ne devaient voir qu'une sombre silhouette se découpant dans l'horizon, appuyée sur la rambarde du voilier. Elle attendait la nuit et, avec elle, son rendez-vous du soir. À cette époque de l'année, le soleil se couchait tôt, un peu avant dix-huit heures, et elle aimait se glisser dans l'obscurité, marcher dans le noir alors même qu'il restait plusieurs heures avant le couvre-feu. Cette impression de ne pas pouvoir être là alors que c'était tout à fait normal était... étonnamment plaisante. Pas forcément grisante ni excitante, mais ça perturbait ses sens et elle se sentait plus alerte que d'ordinaire. Parfois, quand elle croisait un professeur, elle avait le réflexe de se cacher, avant de se rappeler qu'il n'était pas encore l'heure du dîner et qu'elle avait le droit d'être là. Sauf bien sûr quand elle croisait Pietro... là, elle courait se planquer bien loin pour éviter de ressentir à nouveau ces sentiments si pathétiques qu'il avait presque faits naître en elle.

Quelques jours plus tôt, Lynn avait reçu une lettre de quelqu'un qui aurait du lui répondre depuis bien longtemps. Elle devait l'avouer : elle ne l'attendait plus et avait presque chassé la femelle de ses pensées, persuadée que la gamine avait choisi le clan adverse. C'est donc surprise qu'elle avait ouvert la lettre et y avait lu que Hidas dernière du nom avait choisi de la suivre elle. Étonnée et dubitative, Lynn n'a pas répondu de suite. Vu le manque d'entrain qu'avait manifesté Hidas, elle doutait un peu de son honnêteté... N'était-ce pas un plan ficelé par la limace pour essayer de la faire tomber ? Ou bien simplement une farce destinée à l'humilier ? Lynn ne savait pas, et elle n'aimait pas ne pas savoir. Pendant plusieurs jours après le retour de Hidas au chateau, Lynn n'avait rien laissé paraître devant elle, la snobant royalement et ne lui montrant par aucun geste qu'elle avait reçu son cadeau - encore moins qu'elle avait revendu la cigarette électrique, d'ailleurs. Et puis, une semaine après la rentrée, elle était passée à l'action. N'ayant rien vu de suspect dans le comportement de la gamine, elle avait rédigé un mot et l'avait posé sur son lit.

Lynn ne savait pas trop si Hidas allait venir ou non, ni même si elle voulait qu'elle vienne ou non. Avait-elle envie de se traîner une gamine indécise pour le reste de sa scolarité ? De devoir attendre à chaque fois trois mois entre chaque réponse et décision ? Pas vraiment. D'un autre côté, pourtant, elle voyait du potentiel dans cette enfant délaissée par sa famille. Il devait y avoir de la rage en elle, de la tristesse qu'elle pourrait utiliser pour en faire une force. Elle pourrait devenir une grande sorcière, mais seulement si elle parvenait à couper le cordon et à voir sa famille comme elle était vraiment : des dictateurs. Ils ne voyaient en leur fille qu'une poule pondeuse, un vagin à marier et une image à manipuler. C'était écoeurant. Lynn ne pouvait pas laisser faire ça, mais il fallait que Hidas accepte son aide, sans quoi elle ne saurait rien faire pour elle. Sortant une cigarette de sa poche, elle l'alluma d'un coup de baguette, attendant patiemment l'arrivée de la future petite mante religieuse. Elle lui laissait jusque dix-huit heures et quart, pas plus. Passé ce délais, elle rayerait la petite de sa liste de potentielles recrues. Et elle ne revenait jamais sur ses décisions.

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Lynn écrasa sa cigarette quand elle aperçut une silhouette s'approcher. Elle n'avait aucun doute sur l'identité de son propriétaire, doutant que quiconque s'aventure jusqu'ici en plein hiver alors qu'il faisait déjà noir, aussi se redressa-t-elle pour accueillir la jeune Hidas. Celle-ci arriva à l'ultime minute, brandissant une montre pour prouver qu'elle n'était pas en retard. Lynn haussa un sourcil fort peu amusé. Et t'es fière ? Il t'en faut peu. La stratégie de Lynn pour jauger l'honnêteté de la fillette était basée sur plusieurs étapes, la première consistant à lui battre froid. Si Hidas voulait devenir son apprentie, elle devrait faire preuve d'humilité, et donc si elle s'énervait, ça voudrait dire que sa motivation était feinte. Car Lynn n'était pas désespérée au point d'accepter n'importe qui sans être certaine. Elle lui avait donné plusieurs fois l'occasion de la rejoindre, et elle avait refusé. Si Lynn lui offrait une nouvelle chance, il fallait d'abord qu'elle soit sûre de ne pas faire tout ça pour rien. Alors elle fixa l'enfant avec dédain avant de se retourner vers le domaine et de poser ses bras sur la rambarde.

Elle garda le silence quelques secondes, restant immobile à fixer le parc endormi. Il y avait plusieurs raisons pour lesquelles Etana pouvait se foutre de sa gueule. Elle pouvait travailler à la solde de la limace Volchine, être une sorte d'espionne missionnée pour faire tourner en bourrique la nouvelle ennemie de madame princesse. Elle pouvait faire ça simplement pour faire enrager ses frères. Ou bien elle pouvait n'être qu'une garce qui aimait manipuler les autres et jouer avec Lynn. Dans ce dernier cas de figure, il serait vraiment dommage qu'elle ne rejoigne pas les Pozhiratelis - elle ferait une excellente soldate. Je me demande pourquoi je devrais de donner une nouvelle chance, Hidas. Tu t'es foutue de moi pendant trois mois, qu'est-ce qui me prouve que tu recommences pas ? Elle tourna la tête pour lui lancer un regard aussi sévère que bref. Hidas aurait-elle des arguments à lui donner ? Essayerait-elle seulement de se défendre et se justifier ? Lynn était curieuse de voir comment elle réagirait. Sachant que sa réaction déterminerait l'avenir de leur relation - amicale ou hostile ?

Pour enfoncer le clou un peu plus loin, elle afficha un sourire sans joie et se retourna une nouvelle fois. Une nouvelle idée lui vint à l'esprit, plus fourbe, plus sournoise. Jouer sur l'ego de la gamine, la rabaisser comme ses parents la rabaissaient, lui montrer ce qu'elle subirait si elle n'était pas honnête. Peut-être que les autres ont raison, j'aurais du choisir un de tes frères. Les filles de sang pur sont trop précieuses pour ce travail, elles ne savent pas prendre leurs décisions toutes seules. Elle haussa les épaules. Et bim, dans les dents de ces sang pur qui se croyaient supérieurs ! Lynn ne la regarda pas, cette fois, et analysa ses ongles avec un air ennuyé. Elle ne le pensait pas, évidemment, car pour elle les hommes étaient le sexe faible et les femmes méritaient le pouvoir, même les gamines insolentes comme la femelle qui se tenait devant elle. Cette fois, si elle ne réagissait pas, Lynn ne voyait plus quoi faire pour lui ouvrir les yeux et lui montrer que le seul moyen pour qu'elle soit libre était de la suivre.

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Étape une : battre froid. Etana n'eut aucune réaction, ce qui étonna Lynn. Elle ne releva pas, cependant, appréciant qu'elle ne se rebiffe pas devant une petite remarque froide et injustifiée. Car, si elle devient Pozhirateli, elle en recevra un paquet lors de son apprentissage. Pas assez ça, trop ceci. Et quand elle fera ce qu'on lui dirait, ça ne conviendrait pas non plus. Ils voulaient endurcir les recrues, en faire des personnes qui n'avaient peur de rien, qui seraient capables de supporter les insultes et les remontrances sans frémir. Bien évidemment, cette seule tentative pour voir si Hidas était capable de garder son sang froid ne suffirait pas à Lynn, elle recommencerait à plusieurs reprises et quand la gamine s'y attendrait le moins, juste pour voir. Juste pour la tester, s'assurer de sa fidélité. Juste pour être sûre que la gamine ne la lui joue pas à l'envers. Elle avait réussi le premier test, mais rien ne garantissait qu'elle était vraiment honnête.

Un léger sourire étira les lèvres de Lynn quand Hidas incendia ses frères en un discours passionné. Elle n'y cru qu'à moitié, et pourtant elle laissa planer un bref silence. En effet, elle ne s'intéressait pas réellement à ses frères mais pas pour les raisons énoncées par la gamine. Au moins leur loyauté ne laisse aucun doute. Et ne te méprends pas, ils feront de bons Pozhiratelis, parce qu'ils adhèrent aux idées des sang purs et qu'ils ont étés éduqué dans cette optique. Oui, ils seraient de bonnes recrues, loyales, obéissantes, combattantes. Mais c'étaient des hommes et ils étaient faibles. Il suffirait que l'ennemi soit une jolie femme et ils perdraient tous leurs moyens, contrôlés par le vicieux appendice entre leurs jambes. C'était pour ça que Lynn n'aimait pas les hommes. Et aussi parce qu'ils voyaient les femmes comme des mères pondeuses, des moyens d'assouvir leurs besoins, des trophées qu'ils exposaient à la vue de tous. Leur seul problème est de ne pas voir qu'une femme peut être leur égale. C'est pour ça que je ne m'intéresse pas à eux. Et pas à cause des arguments énoncés par la gamine, simplement parce que Lynn faisait elle aussi partie de ces enfants conditionnés pour devenir des soldats corbeaux.

Lynn plissa les yeux quand, pour la deuxième fois, Hidas mentionna un Monsieur Singe. Et ce Monsieur lui aurait montré deux destins radicalement opposés, l'un où elle tue ses frères, l'autre où elle se tue pour ses frères. Fronçant le nez d'incompréhension, Lynn se tourna vers la gamine. C'est qui ce macaque, d'abord ? Ajustant son bonnet, elle secoua la tête. Si Hidas lui sortait que c'était son ami imaginaire, elle la laisserait tomber direct. Okay elle était jeune, mais de là à écouter les conseils de son imagination enfantine... Et qui t'a parlé de tuer des frères, d'abord ? Ce n'est jamais ce dont je t'ai parlé. Je veux faire de toi leur égale, et si pour ça tu dois un peu les rabaisser pour te faire une place, crois-moi ça ne les tuera pas. Ou alors ils sont encore plus faibles que je ne le pensais. Non, tuer ses aînés et sa famille n'entrait pas en ligne de compte. Ils étaient des Pozhiratelis, avaient le sang pur et étaient fidèles ; ils étaient précieux. Malheureusement, ils ne voyaient pas que la cadette l'était aussi.

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Lynn leva un sourcil moqueur face aux explications de Hidas en rapport au fameux Monsieur Singe. Une interprétation de son esprit qui apparait dans ses rêves ? Visiblement Lynn n'était pas la seule à fumer ici, et l'autre ne se contentait pas de tabac... Si jeune et déjà droguée, quel gâchis ! La preuve qu'elle lui apporta ensuite - une blessure sur son bras - fit hausser ses deux sourcils à la plus âgée, qui n'avait pas les mots. Okay c'était pas un ami imaginaire et d'accord c'était pas de la drogue. C'était plus flippant. Soit quelqu'un la blessait dans son sommeil, soit elle était hantée par une créature inconnue à Lynn. Ou alors elle s'était blessée elle-même pour essayer de l'attendrir. Tu devrais mettre des clochettes autour de ton lit quand tu dors, ça évitera que des connasses viennent te blesser. Car ça ne pouvait être qu'une fille. Pas Zora, par contre, cette peste n'ayant pas le droit d'entrer dans leur salle commune. Dommage, elle aurait fait un coupable idéal...

Même si Etana faisait en sorte de se montrer convaincante, Lynn ne parvenait pas à la croire. Pourquoi avait-elle soudainement changé d'avis, pourquoi maintenant et pas avant ? Et Zora avait-elle décidé de lui lâcher la grappe ou Hidas venait-elle justement vers elle pour avoir une protection contre la limace bouffeuse de plantes vertes ? Lynn soupira. Non tes motivations ne suffisent pas à me convaincre, t'as raison. J'ai l'impression que tu me la fous à l'envers, Hidas, ou que tu te sers de moi, et ça me plait pas. De plus, Lynn n'avait pu s'empêcher de remarquer un rapprochement entre elle et le Papillon, chose peut-être banale mais qui lui mettait le doute. Et si le Stein lui filait des conseils pour ne pas se mettre Lynn à dos ? Ils se connaissaient, maintenant, assez pour se considérer comme amis, mais ce n'était pas pour ça qu'il validait toutes ses actions et ne pouvait pas essayer d'aider une enfant en détresse... Penchant la tête, Lynn se força à réfléchir et à tout connecter.

Elle garda le silence quelques secondes avant de se redresser et de croiser les bras. Tu sais, je fais ça pour toi. J'ai rien à gagner dans cette histoire, mais voir une gosse destinée à n'être qu'une mère pondeuse ça me tue. C'est le destin qu'on aurait du me réserver, mais mes parents en ont décidé autrement. Les tiens sont pas capables de t'offrir une autre perspective d'avenir, moi bien. Elle pointa le pouce vers elle en disant ces mots. Elle pensait ce qu'elle disait, n'avait réellement rien à gagner ni aucun intérêt dans tout ça. Si Hidas refusait son aide, tant pis, elle en crèverait pas, contrairement à la petite qui finirait par être tuée par ses frères ou son futur mari. Je veux bien te laisser une chance, mais si je me rends compte que tu te fous de ma gueule, je te tue moi-même, c'est clair ? Il n'est pas question que tu te serves de moi, que tu joues à changer d'avis comme de robe ou que sais-je. Si tu veux que je t'aide, va falloir t'impliquer à fond et ne jamais reculer. Ici c'est marche ou crève, à toi de choisir. Si avec ça Hidas continuait de la prendre pour une conne, elle pourrait pas dire qu'elle n'avait pas été avertie. Car Lynn était sérieuse : qu'elle se moque d'elle et elle perdrait la vie dans l'heure. Elle avait déjà tué, ça la dérangerait pas de recommencer...

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Lynn venait d'abattre sa dernière carte en montrant à Hidas jusqu'où elle serait capable d'aller si elle la lui mettait à l'envers. Tuer ne la dérangerait pas, même s'il s'agissait d'une enfant au sang pur, issue d'une famille puissante et importante pour les Pozhiratelis. C'était là son dernier avertissement, l'ultime chance pour Etana de se rétracter et de partir vivre sa vie de petite femme fertile. Si après ça elle s'engageait auprès de Lynn, il faudrait que ça soit sincère. Ses paroles semblèrent honnêtes, et Lynn hocha la tête. Elle voulait sa liberté ? Et bien elle allait l'obtenir ! Très bien. Maintenant c'était acté, elles étaient reliées par un contrat tacité, une alliance qui faisait de Hidas l'apprentie de Lynn, une future Pozhirateli, une femme de pouvoir plutôt qu'une femme de. Lynn sourit légèrement, satisfaite. Savoir qu'une fille échapperait à son destin était pour elle une petite victoire, insignifiante pour certains mais importante pour elle.

Hidas demanda ce qui était la suite, et Lynn réfléchit une seconde. Par quoi commencer ? Lui demander d'envoyer chier ses incapables de frères, d'envoyer une lettre à ses parents pour leur dire qu'à partir de maintenant elle passerait ses vacances chez les Londubat ? Non, il fallait commencer plus en douceur, avec quelque chose qui ne la mettrait pas en défaut avec sa famille. Pas tout de suite. La suite, c'est que tu vas arrêter de te cacher. Je sais que tu fais tout pour ne pas te faire remarquer, mais c'est fini. Lynn jaugea Etana du regard, lui faisant comprendre qu'elle s'était renseignée et qu'elle l'avait observé. Elle savait qu'elle faisait en sorte d'avoir des résultats moyens, qu'elle n'avait pas beaucoup d'amis dans l'optique de rester loin des regards et qu'elle restait délibérément dans l'ombre de ses frères. Mais c'était là le comportement d'une fillette, pas d'une combattante. Il était temps qu'elle se réveille.

Lynn ajusta son bonnet avant de détourner brièvement les yeux puis de les reposer, calculateurs, sur Etana. Tu avais un devoir de Magie Fondamentale pour cette semaine, je pense ? Tu vas le refaire pour obtenir une note optimale. Tu vas commencer à parler avec les jeunes de ton âge et jusqu'à la troisième année. Tu vas t'affirmer, hausser la voix, te faire connaître pour toi et non pour ton nom de famille. Evidemment, tout ça ne se fera pas en un claquement de doigts, Lynn s'en doutait bien. Il fallait un peu de temps pour quitter un rôle adopté pendant onze ans, mais elle y arriverait et Lynn lui laisserait du temps. Un peu. D'ici à la fin du mois, je veux que tu aies montré ton vrai potentiel aux professeurs et que tu te sois trouvé au moins un ami digne de toi. Oublie les débiles ou les naïfs, il te faut quelqu'un de déjà populaire pour te mettre en avant. Et fais pas dans les sentiments, t'es douée pour jouer la comédie alors même si tu l'aimes pas, fais en sorte que lui ou elle te prenne comme meilleure amie. Voilà comment commencer en douceur selon Lynn. Un mois pour faire ça, c'était facile, non ? Evites juste ces imbéciles de Voda, d'accord ?

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