[EmyPaul] Maintenant c'est oui : créons notre famille 

Si j’avais tenté d’écouter les bruits de la forêt pour préparer ma chasse, c’était que mon instinct de prédateur fonctionné et que je commençais à développer quelques reflexes. Si j’avais rapidement arrêté cette quête prématurée, cela signifiait aussi que mon côté humain restait prédominant. Après tout, mon expérience vampirique ne représentait qu’une infime part de mon existante. J’étais encore encré dans une existence banale. La principale différence était le changement drastique de mes besoins alimentaires. Ça et le fait que j’étais à présent soumis à beaucoup plus de stimuli et que je ne supportais plus le soleil. Emily avait donc encore beaucoup de travail pour faire de moi un vampire à part entière. Cela dit, nous vivions très bien ainsi depuis un an alors ce n’était pas une urgence. Le plus important était que je garde la maitrise de mes actions pour ne pas créer de carnage.

Je la laissais profiter de ma performance d’étudiant pris la main dans le sac bien que techniquement je ne mentais pas. J’avais fait le travail qu’elle attendait de moi. Pas entièrement, certes, mais l’intention était tout de même là. Je la laissais poser ses mains sur mon visage, puis je lui rendis son baiser. Sa présence à mes côtés était véritablement une distraction. Comment pouvais-je me concentrer sur mes proies alors que ces baisers échangés étaient tout autant appétissant ? Je suivis tout de même ses conseils en fermant mes yeux. Pour la concentration j’attendais quelques secondes le temps de lui glisser quelques mots.


Je devais admettre que garder les yeux fermés permettait de mieux percevoir les sons. Je comprenais que ce conseil n’était pas vain ou destiné à me feinter pour partir à l’assaut d’une proie avant moi. Depuis la chambre je m’étais contenté de sonder les environs sans trop de conviction. Privé de la vue, j’étais plus attentif. Je sentis d’abord l’odeur d’un lapin. Les sons m’informaient qu’ils étaient en réalité plusieurs. Satisfait, je m’apprêtais à partir dans leur direction lorsque j’entendis un bruissement d’ailes. L’oiseau semblait grand. Je savais que les aigles pouvaient être aperçus dans les Pyrénées, bien que je n’en avais encore jamais rencontré. Je devais bien admettre que ce défi était séduisant. Habituellement je me contentais de chasser de petits animaux, préférant la prudence aux exploits. J’avais beau être un prédateur plus redoutable qu’un aigle ou un ours, je n’avais pas l’envie de faire de mes chasses un duel. Aujourd’hui avec Emily, j’étais tenté de jouer au super vampire.


Mes yeux étaient de nouveaux ouverts et je fixai Emily pour qu’elle choisisse avec moi ma prochaine victime. Après tout, elle n’avait peut-être pas envie que cette histoire s’éternise.

( Pando )

Le lapin ou l’oiseau ? La simplicité ou le défi ? La raison ou la folie ? Après tout, il ne s’agissait pas d’un jeu mais bien d’un moyen de subvenir à mes besoins. Je n’avais pas envie de devenir une créature irréfléchie s’adonnant à des expériences morbides. Si nous avions fait en sorte de me sevrer du sang humain dès le début, ce n’était pas pour rien. Il n’était pas question d’éveiller plus que de raison mon instinct de tueur. Je ne prétendais pas que c’était chose facile. Bien sûr que les gorges palpitantes que je croisais tous les jours dans les couloirs ou dans ma salle de classe me tentaient, mais je chassais suffisamment pour être déjà sustenté. Puis, le goût du sang animal ne me dérangeait pas puisque je n’étais pas familiarisé avec le sang humain. Cela me tenait véritablement éloigné de toute folie. Aujourd’hui c’était pourtant différent. Je cherchais surtout à impressionner Emily qui ne m’avait pas vu à l’œuvre depuis des mois. Elle m’accompagnait bien au début pour m’arrêter si j’avais le malheur de croiser l’un de mes congénères. Une fois lancé dans ma quête de sang, il était certain que mes convictions ne pouvaient me retenir. Humain ou animal, une proie était une proie. À présent j’avais plus de maîtrise et de toute manière elle n’était jamais bien loin.

Je l’écoutais attentivement. C’était donc à moi de choisir bien que je percevais une préférence dans son ton. Il était primordial que je me nourrisse pour pouvoir affronter sans peine le retour des professeurs et des étudiants. Hors, entre les deux proies potentielles, l’une pouvait m’échapper trop facilement. La fuite serait d’ailleurs certainement bruyante, rien de pire pour convaincre les autres proies de se cacher et d’être contraint de chasser plus loin. La patience d’Emy avait des limites, surtout s’il s’agissait d’être simple spectatrice. Elle venait de l’affirmer, c’était de mon repas qu’il s’agissait. Ma décision était finalement prise.


Je complétai mes paroles d’un haussement d’épaule. C’était un choix par dépit, mais Emily m’avait donné un autre défi. L’attraper sans le tuer. Je ne savais pas trop ce qu’elle entendait par là, lorsque je me mettais en chasse mon seul objectif était de vider une bête de son sang. C’était toujours rapide, presque sans douleur et sans peur pour ma proie. Enfin, j’essayerai de suivre ce conseil. Je pris la direction des sons qu’émettaient la famille lapin. J’adoptai ma vitesse de course vampirique pour faire le moins de bruit possible. J’entendais derrière moi Emy, mais je me concentrais avant tout sur mon objectif. Plus j’approchais, plus j’entendais leur vaisseaux palpiter. Mon cerveau était déconnecté si bien que je ne pensais qu’au sang. Avec un peu de chance j’en attraperais plusieurs sans difficulté. À quelques mètres, je repérai le plus gros et sans attendre je bondis toutes canines dehors. Mort presque sur le coup, en même temps j’avais visé avec précision la gorge. Je le vidai sommairement en me concentrant sur la proie suivante. Hors la présence d’Emily me déconcentra. Ne pas le tuer en l’attrapant. J’avais un cadavre sur les bras alors ce n’était pas une franche réussite. Enfin cela me ramena un instant à la réalité, tant pis pour le reste de la famille.


Elle ne m’avait pas appris ça. Je savais me contrôler dans une foule. Je savais m’enfermer lorsqu’une tentation montée. Je savais l’appeler à l’aide si c’était trop difficile. Mais je ne savais pas m’arrêter lorsque j’étais en route pour tuer. À présent, cela m’inquiétait.

( Pando )

J’avais bien conscience que je n’avais pas encore entièrement le contrôle sur mes pulsions. J’évitais l’infirmerie et même le premier étage dans son ensemble. Je rencontrais très rarement les élèves de manière individuelle. Je n’isolais aucune proie potentielle puisqu’à tout moment mon instinct pouvait surpasser mes convictions. Cela ne me faisait pas particulièrement souffrir. J’étais tenté la plupart du temps, mais aussi certain qu’il était préférable que cela reste ainsi. Mon sevrage immédiat du sang humain m’aidait également à résister. Je savais ce que je ratais sans pour autant le connaitre. Mais mon échec révélait qu’en réalité je ne contrôlais pas grand-chose. Une fois lancé je n’étais pas capable de m’arrêter. Pour un simple lapin, je n’avais plus pensé aux recommandations d’Emily. Au contraire, j’avais anticipé les prochains coups de canines réservés aux autres membres de la famille. Du sang, du sang et encore du sang. Ce n’était pas qu’une question d’enjeu. Si ma proie avait été un humain je savais que je n’aurais pas été capable de me ressaisir. Emy m’avait mis face à un défi bien trop important et je ne savais pas comment le réussir.

Les explications d’Emily confirmaient mes observations. Mon esprit ne s’accrochait qu’aux mots tuer et nourrir lorsque je partais en chasse. J’attendais même quelques heures de passer les portes de Beauxbâtons par besoin de me concentrer sur mes nouveaux objectifs. Ne pas tuer, ne pas me nourrir malgré les bénéfices que cela m’apportait. Mon humanité ne ressortait qu’une fois le ventre plein et l’adrénaline descendue. Jusqu’à maintenant, elle ne s’était jamais éveillée pendant. Par exemple, je me moquais bien de laisser derrière moi des lapins orphelins. Cela dit, sa réflexion suivante me surpris tant je n’avais jamais pensé à employer mes pouvoirs. Je m’efforçais tellement de faire la différence entre chaque part de ma personnalité que je n’avais jamais pensé à les unir. Puisqu’il ne me venait pas à l’esprit d’utiliser ma baguette pour tuer, je ne l’avais jamais associée à une partie de chasse. De toute manière lancer un sort demandait un minimum d’intention et je n’étais pas certain d’en être capable dans ce genre de situations.

Je hochais la tête en l’entendant. Si cela me paraissait presque insurmontable de faire ressortir mon humanité face à une petite proie, je n’imaginais même pas le résultat en présence d’une cible encore plus appétissante. Je savais que j’étais dangereux pour mes élèves, mais je m’étais convaincu que je pouvais me contrôler. La réalité était malheureusement bien différente. Cela remettait également en question mon aptitude à accueillir un enfant au sein de mon foyer. Il n’était d’ailleurs pas question d’imposer à Emily la charge de me surveiller continuellement.


Ma voix était assez faible. Je n’étais pas du genre à abandonner, mais pour le coup je craignais trop d’essuyer un nouvel échec. Pourtant, je ne pouvais pas me donner en spectacle en partant à la course vers ma chambre tel un enfant vexé. L’objectif était d’ailleurs trop important pour le balayer au premier obstacle. Je devais au moins essayer cette nouvelle approche. Peut-être qu’en utilisant ma baguette cela m’aiderait à m’encrer dans la réalité de la situation. Je fermais les yeux, les lapins n’étaient pas partis bien loin. En bon sorcier, j’avais laissé ma baguette dans la poche du jogging que je portais. Je la sortis, ma décision était prise.

Je repris mon pas de course, me calant davantage sur une allure humaine. Pour une proie plus difficile ce ne serait pas suffisant, mais je me limitais à un objectif à la fois. Je cherchais avant tout à mettre toutes les chances de mon côté pour garder mon humanité à la surface. La prochaine victime fut rapidement en face de moi, tapie dans un recoin. Je l’immobilisai d’un coup de baguette rapide, son sang alléchant continuant pourtant de pulser. Je sautais une nouvelle fois sur son cou sans chercher à le tordre bien que cela était terriblement tentant. En aspirant son sang, je sentais progressivement la chaleur quitter son corps. C’était une sensation encore plus agréable. J’allais trop loin, tout en ayant conscience de ce fait. Je reculai alors à la vitesse de l’éclair, puis je courus loin. J’entendais encore le cœur battre faiblement, si je faisais demi-tour je ne ferais qu’une bouchée de ce lapin. La seule chose qui m’empêchait de l’achever était la présence d’Emily dans mon dos.


Je m’étais finalement arrêté sans oser pour autant me retourner. La proie n’était pas morte, mais elle ne pouvait qu’agoniser vu tout le sang que j’avais consommé.

( Pando )

C’était une réussite teintée d’échec. J’avais su m’arrêter seulement au prix d’un grand effort et en laissant ma proie à moitié morte derrière moi. Si je ne m’étais pas tant éloigné je n’aurais certainement pas pu résister à l’achever. La présence d’Emily était également un facteur à ne pas négliger. Sans elle, je n’aurais certainement pas eu la volonté de tenter l’expérience et encore moins celle de lui prouver que j’en étais capable. J’avais encore cette crainte de représenter un poids pour elle. Depuis un an elle devait me surveiller, m’indiquer la voie à suivre, être prête à me rejoindre si je vivais une situation complexe. J’avais dépassé le stade de nourrisson sans atteindre encore celui de l’âge adulte. Et encore je ne me trouvais pas dans une période d’adolescence à vouloir tenter l’interdit, goûter au sang humain. Malgré tout, j’avais encore du chemin à parcourir et il faudrait que l’effort surhumain que j’avais produit à l’instant me paraisse moins important avant le départ d’Emily pour une autre vie. Pour cela je devrais m’entraîner encore, trouver le temps pour cela.

Je faisais maintenant face au magnifique sourire d’Emily. Ses paroles étaient au moins rassurantes. Je n’avais pas été trop ridicule et elle avait visiblement fait en sorte de remettre le lapin sur ses pattes. Je souris même en imaginant le lapin boitiller en repartant après cette épreuve sanglante. Pauvre bête. Je la laissais ensuite essuyer les traces de sang autour de mes lèvres. Je me demandais comment je pourrais la remercier un jour de toute l’attention et la bienveillance dont elle faisait preuve à mon encontre.


Je lui souris cette fois plus chaleureusement. Cette leçon serait certainement moins éprouvante. Enfin, je doutais que cela soit une priorité. Je ne revenais jamais d’une chasse couvert de sang, personne n’avait eu à déplorer la vision de ma personne telle Carrie à la sortie de son bal. Je supposais même qu’Emily chercherait à me pousser plus loin dans le contrôle de mon instinct. Après tout elle était elle-même à un stade où elle pouvait soigner des personnes ensanglantées sans qu’une once d’envie envahisse les traits de son visage.


Cette fois je l’embrassais tendrement en espérant que mon haleine n’est pas trop la saveur du lapin.

( Pando )

Boire le sang à la paille. C’était une idée, enfin j’en étais encore bien loin. Nous avions bien vu que je devais déjà faire preuve de beaucoup de concentration pour ne pas rompre le cou de ma proie avant de la vider de son sang. Quant à me maitriser pour ne pas vider ma victime de son sang c’était encore un projet en cours. Mais peut-être que dans quelques années je pourrai tranquillement siroter le sang comme n’importe quel cocktail consommé sur le bord de la plage. Quoi qu’il en soit je ferai forcément l’effort de suivre les conseils donnés ce jour par ma professeure.

Emily ne se plaignit pas de la saveur lapin de mon baiser. En revanche, je la vis immédiatement retirer un poil de lapin de sa bouche. Je souris en partie désolé bien que la scène avait le don de m’amuser. Pour une personne qui ne consommait pas de sang animal c’était forcément inhabituel de se retrouver avec la fourrure d’un lapin dans la bouche. Néanmoins, elle ne fit aucun commentaire. Ce n’était pas ce soir que j’allais me faire disputer. A la place, elle acquiesça pour rentrer. Nous n’avions pas besoin de dormir mais il fallait bien donner l’illusion de ne pas avoir passé la soirée à l’extérieur. Puis je devais accueillir convenablement mes collègues. Cela commençait pas un changement de tenue. Il n’y avait pas de sang sur mes vêtements de sport, mais quelques poils et de la terre.

J’agrippai ainsi la main qu’Emily avait glissée dans la mienne. Bien nourri, j’étais prêt à affronter ce début d’année sans commettre de meurtre, quoi que la disparition des collègues corbeaux ne seraient pas une grande perte. Enfin, j’allais retrouver Lucas, compensation suffisamment large pour ne pas me sentir crispé. J’avais hâte de lui annoncer la potentielle survenue d’un ou d’une camarade de jeu pour Eliott. Le connaissant, il ne trouverait pas le projet si fou que ça.

( Pando )